Nous allons ici nous intéresser à un ensemble de musique funéraire des Khmers du Cambodge, existant à Siem Reap et ses alentours : le kantoam ming កន្ទាំមីង. Même s’il existe ailleurs dans le pays des orchestres funéraires de structure voisine, celui de Siem Reap a la particularité de compter un carillon de gongs dont l’origine remonte au moins au XVIe siècle. Ce dossier est le résultat d'une recherche de terrain de plusieurs années menée par Patrick Kersalé (2011-2020).
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2011-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 28 octobre 2024.
SOMMAIRE
Articulation de l'orchestre avec les autres intervenants
La vie de la troupe durant les funérailles
Choix des pièces de répertoire
Analyse d'une pièce de répertoire
La sauvegarde par Cambodian Living Arts
Le répertoire de l'orchestre de Maître Seng Norn
Cet article amende, corrige et reprend parfois certains éléments de l’article de Trent Walker : « Funeral Music Along the Dangrek: The Buddhist Reinterpretation of kantoam ming ». Dans cet article, l’auteur s’est intéressé à la façon dont les bouddhistes donne sens au son et à la musique du kantoam ming, et comment ils façonnent le son à des fins bouddhistes.
Siem Reap et ses alentours comptent trois ensembles de kantoam ming plus ou moins actifs. Deux d’entre eux doivent leur survie à l’organisation Cambodian Living Arts qui les a soutenu dès 2004 avant qu’ils ne prennent leur envol en 2009. L’ensemble fondé par Maître Seng Norn est aujourd’hui le plus actif des deux. Celui de feu Maître Ling Srey l’est moins car ses membres ont des activités qui ne leur permettent pas de se libérer pour jouer lors des rituels funéraires. Quant au troisième, dont la révélation ne date que de janvier 2018, il joue régulièrement lors des funérailles. Mais avant d’aller plus loin, explorons quelques fondamentaux relatifs au kantoam ming.
L’orchestre kantoam ming de Siem Reap est désigné sous diverses appellations, mais nous conservons cette terminologie afin d’homogénéiser le propos entre chercheurs et faciliter les recherches indexées sur Internet.
L'un des noms les plus courants est trai leak រៃលក្ខណ៍. Keo Narom, dans son ouvrage “Cambodian Music, p.10” écrit : « Trai dérive du mot sanskrit “trois”, tandis que Leak or Lakana viennent du Pali et signifient “marque” ou “trace”. Dans le bouddhisme, toute existence est marquée par trois caractéristiques (lakshana) : la souffrance, l'impermanence et le non-soi. » Elle ajoute : « Les villageois ordinaires aiment à nommer cette musique selon les sons qu’elle évoque : kangroam ming, tatoam ming, toam ming, troem ming. D'autres appellent aussi cette musique “toa ming” car elle fait penser à des actions morales et peut rendre mélancolique. »
Trent Walker rapporte également le terme troem ming d’après un manuscrit ayant appartenu à feu Maître Ling Srey.
L'orchestre se compose d'un nombre réduit d'instruments dont les noms varient en fonction des ensembles.
Keo Narom mentionne (p.11) : « Au début des années 1990, nous n'avons trouvé qu'un seul ensemble trai leak dans la province de Siem Reap ; nous avons également entendu cette musique diffusée à partir d’une cassette enregistrée dans les provinces de Siem Reap, Oddar Meanchey et Banteay Meanchey ainsi que dans certaines zones de la province de Battambang. »
Trent Walker mentionne quant à lui : Le kantoam ming est « connu à travers une variété de noms onomatopéiques dans les communautés khmères le long des montagnes du Dangrek qui divisent les provinces cambodgiennes de Banteay Mean Chey, Oddar Mean Chey, Siem Reap et Preah Vihear, et les provinces thaïlandaises de Buriram, Surin et Sisaket. Le kantoam ming est aujourd'hui pratiqué dans seulement une poignée de villages à travers cette région. »
Les gongs suspendus, le carillon de gongs et le hautbois apparaissent pour la première fois dans l’iconographie, sur les bas-reliefs de la galerie nord et sur deux fresques du sanctuaire central du temple d’Angkor Vat (bakan). Selon une inscription, les bas-reliefs datent du XVIe siècle. Quant aux fresques, on peut juste estimer qu’elles datent de la même époque.
Le tambour en tonneau apparaît quant à lui pour la première fois dans l’iconographie du Baphuon au XIe siècle.
Une partie des bas-reliefs de la galerie nord d’Angkor date du XVIe siècle hormis Le Combat des Asura et des Deva, dans l’aile ouest dont le style et les instruments sont typiquement
du style initial d’Angkor. Ce grand bas-relief met en scène les instruments à vocation martiale classiques que l’on retrouve au Bayon et à Banteay Chhmar. Malgré son ancienneté, sa
réalisation n’est pas aussi soignée que le reste des bas-reliefs du temple.
Quant à la Victoire de Krishna sur l'Asura Bāna, aile est (XVIe s.), elle présente de nouveaux instruments et des innovations techniques par rapport à ce qui existait au
XIIe s. ; en revanche, sa réalisation est médiocre. Sur certaines scènes, des instruments de toute nature, sans cohérence apparente d’association, s’étalent sous nos yeux.
Quels sont les nouveaux instruments et les innovations par rapport à l’existant ?
La plupart de ces archétypes instrumentaux ont survécu dans le Cambodge contemporain. Les seuls à avoir disparu sont les trompes, à l’exception de celles en corne de buffle.
De D. à G. : danseur, tambour en sablier à tension variable, paire de trompes ou cornes, tambour en tonneau avec support intégré, conque, carillon de neuf gongs, paire de hautbois, paire de gongs à mamelon sur portant, tambour sur portant avec support, cymbales, cithare sur bâton monocorde à simple résonateur, trois flûtes à embouchure terminale. Angkor Vat galerie nord, Victoire de Krishna sur l’Asura Bāna. XVIe s.
Deux fresques représentant des ensembles orchestraux ont récemment été repérées dans le sanctuaire d’Angkor Vat, l’une située au sud et l’autre à l’est. La première est complète ; la seconde
partielle du fait d'une dégradation naturelle due à l'humidité.
La première fresque a été mentionnée dans un article paru en 2014 par Noel Hidalgo Tan : « The hidden paintings of Angkor Wat ». La seconde découle de
notre propre recherche.
Ces deux découvertes sont importantes à plus d’un titre :
La fresque doit être lue de gauche à droite, sens de l’écriture khmère. Les couleurs originales très atténuées (photo 1) ont été rehaussées grâce à une technique de manipulation chromatique développé par nos soins (2).
La fresque se structure sur deux niveaux. En bas, huit instruments sont représentés avec leur musicien. En haut, on perçoit
trois personnages assis (un à gauche et deux à droite) mais leur rôle ne peut pour l’instant être défini.
Les six musiciens assis portent une longue pièce de tissu couvrant les jambes et des chapeaux coniques avec un rebord symbolisant des pétales de lotus. De semblables coiffures sont d’ailleurs
toujours portées lors de grandes occasions par certains serviteurs de la cour royale du Cambodge.
Cette fresque nous montre huit éléments instrumentaux. De gauche à droite : deux gongs, deux tambours, un carillon de gongs, un xylophone, un
hautbois, une trompe.
La peinture de l’Est est très dégradée. Contrairement celle du Sud, elle s’étale à la fois sur un grand pan de mur faisant face à l’est et sur un étroit retour d’angle orienté au nord. La partie gauche du grand panneau est définitivement illisible.
Sur cette fresque très dégradée subsistent six instruments. De gauche à droite : une trompe, un carillon de gongs, un xylophone, un tambour cylindrique, un tambour en forme de tonneau, un hautbois.
Une question se pose : s’agit-il de deux orchestres ou d’un seul ? Nous avons déjà mentionné que sur la fresque du Sud, il n’y a pas de cymbalettes, pourtant indispensable dans les orchestres si
l’on se réfère à la première iconographie du VIIe siècle jusqu’au temps présent. Or, les cymbalettes sont peintes sur le retour d’angle Nord, comme si elles représentaient un lien
entre les deux fresques. La présence de deux carillons de gongs, de deux xylophones et d’un tambour de type samphor est cohérente avec ce que nous connaissons aujourd’hui dans l’ensemble
pin peat.
Nous savons que l’ensemble pin peat est constitué d’instruments femelles et mâles de hauteurs différentes. En configuration de jeu, ils sont généralement disposés par couple, l’un à côté
de l’autre, mais pour des nécessités graphiques, ils ont été dissociés en deux sections avec comme lien structurel les cymbalettes qui soulignent la pulsation.
6. Orchestre pin peat appartenant à la fresque du Reamker de la Pagode d’argent au Palais royal de Phnom Penh (1903). On y retrouve la plupart des ingrédients modernisés ; de G. à D.: xylophone roneat aek, tambour skor sang na, carillon de gongs kong vong, tambour skor daey, tambour skor thom, cymbalettes chhing, tambour skor sampho, hautbois sralay, xylophone roneat tong.
La disposition des instruments n’est pas le fruit du hasard. De gauche à droite, ils structurent le cycle musical, du plus grave au plus aigu, du plus lent au plus rapide. Plus l’instrument est aigu, plus ils génèrent de notes. Compte tenu de ce que l’on connaît aujourd’hui encore avec l’ensemble pin peat, le xylophone joue le même découpage temporel que le carillon de gongs, mais permet une plus grande vélocité et par conséquent subdivise le temps plus en profondeur.
La bande décorative sous l’orchestre du Sud n’est pas là non plus par hasard. Sept fleurs symboliques sont visibles (elles étaient peut-être huit à l’origine). Chacune se compose de quatre grands pétales et quatre petits situés respectivement au quatre points cardinaux et aux quatre directions intermédiaires. Chaque fleur est encadrée d’un trait noir. Elles représentent probablement une sorte de partition symbolique de la temporalité musicale. Les grands pétales représenteraient le séquencement principal du cycle souligné par les gongs et les petits pétales, la marque temporelle des tambours. S’il y a véritablement huit fleurs, cela pourrait indiqué que la musique se structurait sur huit cycles ou une combinaison de huit cycles.
Il fait nul doute que l’auteur de ces deux fresques est la même personne. Cet artiste est probablement à l’origine de nombreuses peintures réparties sur l’ensemble du temple d’Angkor Vat si l’on en juge certains détails.
Ces peintures pourraient être datées en fonction de la nature d’un voilier présent dans la collection des fresques d’Angkor Vat. Il pourrait s’agir d’un galion hollandais (?) du
XVIe s.
Par ailleurs, les carillons de huit et neufs gongs sont attesté au XVIe s. sur les bas-reliefs de la galerie nord d’Angkor Vat. Au XVIIe siècle, une inscription (IMA
36)* de donation au temple d’Angkor Vat mentionne un carillon de seize gongs. Il pourrait donc être plus tardif. Ces peintures pourraient alors se situer entre le XVIe et le
XVIIe siècles.
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*Pou-Lewitz I Inscriptions modernes d'Angkor 35, 36, 37 et 39 I In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Vol. 61, 1974. pp. 303-308.
Il convient ici de faire le point sur les fausses croyances véhiculées par la tradition orale et bonifiées par un attachement excessif au passé. Même si certaines réminiscences technologiques, rituelles, intellectuelles existaient au temps du Bouddha ou plus récemment à l’époque angkorienne, on ne saurait confondre aveuglément la musique et les orchestres qui la serve avec ceux d’autrefois. Les entretiens de personnalité diverses, qu’ils soient vénérables bouddhistes ou maîtres de musique, diffusé par toutes sortes de médias, contribuent à entériner de fausses vérités. Le scientifique ne détient lui non plus aucune vérité historique mais tente de démontrer, preuves à l’appui, que la raison peut se substituer à la perpétuation de pseudo-croyances. En voici quelques-unes :
Se pose la question d'une origine plus ancienne du kantoam ming. Laurent de Lavoisier (1743-1794) disait : “Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme”. Ainsi, le kantoam ming n'est pas concept révélé ou tombé du ciel. Il trouve ses racine quelque part.
Nous n'avons aucune connaissance scientifique des instruments angkoriens autre que ceux de l'iconographie des temples, essentiellement d'origine indienne. Il s'agit, rappelons-le, d'instruments de musique palatine, religieuse (hindoue et bouddhique sous le règne de Jayavarman VII). Mais parallèlement à ces pratiques, il existait des musiques populaires pour accompagner les événements de la vie quotidienne : naissance, mariage, funérailles, fêtes calendaires, inauguration de maison, fête de défloration des jeunes filles (évoquée dans le texte de Tcheou Ta-Kouan), etc. Mais où trouver une quelconque antériorité instrumentale ?
Les carillons de gongs on fleuri dans tout le Sud-Est asiatique continental et insulaire depuis des siècles (Cambodge, Laos, Thaïlande, Myanmar, Java, Bali…). Ce qui caractérise la plupart de ces sociétés, ce sont les ensembles de gongs où chaque élément (le gong) est joué par un seul musicien. Ces ensembles sont généralement accompagnés d'un ou plusieurs tambours, avec parfois un ou plusieurs instruments mélodiques (flûte, vièle, hautbois…). Au Cambodge, existent aujourd'hui encore des peuples minoritaires, au Ranatakiri et au Mondolkiri (Jarai, Tampuon, Kreung, Bunong…), jouant de tels ensembles, notamment pour leurs funérailles. Ces mêmes populations, et d'autres encore, au Laos (Lawae…) et au Vietnam notamment, jouent les ensembles comprenant des gongs et un ou plusieurs tambour. Compte tenu de l'immensité de la zone géographique dans laquelle sont joués ces instruments, on peut émettre l'hypothèse que de tels ensembles existaient déjà à la période angkorienne. On sait également par des légendes et par des faits concrets remontant à la première moitié du XXe siècle que de tels ensembles étaient joués à des fins martiales. Les bas-reliefs de la galerie nord d'Angkor Vat corroborent l'usage du grand tambour, du couple de grands gongs et du carillon de gongs à telles fins.
Mais comment et pourquoi passe-t-on d'un ensemble de gongs collectif à un carillon de gongs individuel ? Nous retiendrons deux hypothèses en partant de la stricte réalité qui consiste à considérer chaque ensemble de gongs comme un seul et même instrument dont chaque élément est frappé par des individus évoluant par un système de pensée collectif.
Nous pensons que la transition des ensembles de gongs éclatés vers leur regroupement en un seul instrument pourrait être une initiative de la cour à des fins militaires pour ensuite dériver vers des usages religieux au service des populations. On remarquera toutefois que les Khmers n'ont pas cherché à remplacé les deux grands gongs qui représentent le couple, entité sociale fondamentale. Il convient également de remarquer que les ensembles de musique funéraire avec gong(s) et tambour existent ailleurs qu'à Siem Reap mais ne comportent pas de carillon de gongs. Nous ignorons s'il en exista autrefois. Toujours est-il que ces carillons existent précisément là où le pouvoir rayonnant de l'Empire khmer s'exerçait jusqu'au milieu du XVe siècle, et là où la royauté se réinstalla provisoirement au XVIe siècle.
La structure musicale du kantoam ming, avec ces cycles mélodiques courts répétés à l'infini, s'apparente à celle des répertoires de gongs des minorités ethniques contemporaines du Ratanakiri et du Mondolkiri, avec toutefois une dimension spatiale supplémentaire liée aux fondamentaux du bouddhisme. Voir chapitres ci-après. Lorsque l'on parle de cycle, on parle également de cercle. Les instruments du kantoam ming sont circulaires (gongs suspendus verticalement, tambour, gongs du carillon). Les gongs suspendus possèdent un mamelon central et ont la capacité acoustique de résonner. Ils sont à l'image du pouvoir : le mamelon central représente le temple d'état et la dépression qui le jouxte, la douve. Si le gong a peu à peu infiltré le tissu social villageois, il n'en était probablement pas ainsi initialement. En Asie du Sud-Est existe une dualité matérielle : le bronze à la cour ou dans les centres de pouvoir, le bambou au village. Pour ces raisons, il est probable que la musique du kantoam ming fut un temps l'apanage de la cour.
Trent Walker décrit les différentes interprétations des sons produits par les instruments du kantoam ming et leur interprétation à travers la pensée bouddhique. Nous vous invitons à les découvrir dans son article : “Funeral Music Along the Dangrek: The Buddhist Reinterpretation of kantoam ming”.
Nous en donnons ici une version française allégée.
Mais le kantoam ming n’est pas le seul à imiter les sons de la nature. Les instruments de l’ensemble phleng khmer eux aussi, imitent les sons de la nature. Jacques Brunet rapporte une légende khmère recueillie auprès du musicien In-Kompha, du village de Kompong-Luong (Province de Kandal) dans les années 1960*.
Voici cette légende : « Alors qu'il n'était que cultivateur, le Roi Trâsâk Phaem avait l'habitude d'écouter les bruits de la forêt et le cri des animaux : les grenouilles, les cigales, les crapauds-buffles, les grillons et tous les animaux qu'on peut entendre autour de soi. Il aimait aussi le sifflement du vent et le grondement du tonnerre. Lorsqu'il vint sur le trône il devint vite très triste, seul dans son palais : il regrettait fort son ancien métier et ne rêvait que du chant des oiseaux, du cri des singes et de tous les animaux de la forêt. Il décida alors un jour de réunir les lettrés de son palais pour leur demander de créer des instruments capables d'imiter les cris des animaux qu'il entendait dans la nature. Les lettrés, afin de lui plaire, se mirent à inventer divers instruments pour répondre au souhait du Roi. C'est ainsi qu'ils fabriquèrent le pey â pour imiter le cri des grillons, la flûte khloy pour le chant des oiseaux, tandis que le tro khmer imitait le bruit du vent et les tambours skor le bruit du tonnerre. En ce temps-là, la musique était jouée pour imiter les bruits de la nature et ce n'est que par la suite que d'autres savants perfectionnèrent et diversifièrent les instruments pour qu'ils deviennent ce qu'ils sont aujourd'hui. »
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*(In : L'orchestre de mariage cambodgien et ses instruments. Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 66, 1979. pp. 207-208).
La position des musiciens au cours du jeu est singulière ; chacun regarde dans une direction cardinale. Ce fait est mentionné pour la première fois par Keo Narom dans son ouvrage “Cambodian music”. « Les trois musiciens de l’ensemble trai leak s'assoient dos à dos, symbolisant ainsi la vieillesse, le feu, l'esprit et la mort dans lesquels nous sommes séparés des autres. »
Aujourd’hui encore, les musiciens de la nouvelle génération connaissent parfaitement cette position traditionnelle, mais parfois ils prennent une certaine liberté avec ce concept, même en contexte funéraire, ayant tendance à tous regarder dans la même direction.
La disposition du carillon de gongs et du hautbois suit bien entendu la position des musiciens. Les gongs et le tambour ont une position à respecter : le gong le plus petit est positionné près du tambour tandis que le plus grand se trouve à l'opposé.
Nonobstant la croyance selon laquelle la position des musiciens reflète la dislocation, nous pensons que cette position est structurelle et pourrait remonter à l’époque angkorienne. Les temples khmers comme le Bayon et le Phnom Bakheng par exemple, avaient pour ambition de structurer à la fois l’espace et le temps. Il semble que le kantoam ming repose sur ce même concept. Les musiciens regardent dans trois des quatre directions cardinales principales tandis que le tambour et les gongs structurent une division du temps cyclique khmer hérité de l’Inde. Ce constat me laisse à penser, sans autre preuve toutefois, que cette structure orchestrale et cette musique auraient pu exister dès l’époque angkorienne, mais avec d’autres instruments, notamment les ensembles de gongs. Examinons les percussions et leur jeu.
La première sensation qui émerge, pour une oreille musicalement exercée à écouter la musique du Palais Royal du Cambodge, est celle d’une étrange fausseté. Le carillon de gongs ne répond pas toujours au canon scalaire de la musique khmère. Pourquoi ? Nous pensons qu’il existe plusieurs raisons à cela et qu’il n’en a pas toujours été ainsi.
L’ensemble kantoam ming est exclusivement dédié aux cérémonies funéraires. Dans les années 1990, Keo Narom mentionne : « L’ensemble trai leak est joué avant la crémation tandis que le défunt se trouve dans la maison. Dès que le cadavre quitte la maison, suivi d'une procession, la musique s’arrête. »
Aujourd’hui cet ensemble se produit devant des amateurs de culture ancienne du Cambodge car le cadre de moments privilégiés spécialement organisés par Cambodian Living Arts. La musique et l’ensemble sont alors présentés musicalement et sous la forme de conférence par les musiciens eux-mêmes.
Au cours de notre étude, nous avons suivi l'orchestre de maître Seng Norn, aujourd’hui dirigé par Pong Pon. L’ensemble a été invité pour diverses funérailles. Il nous semble intéressant de relater ici, au titre de l'histoire musicale du Cambodge, les quelques événements auxquels nous avons pu assister.
Sur le champ cérémoniel, la musique du kantoam ming s'insère dans un vaste processus organisationnel. Le déroulement des funérailles est réglé par la tradition et varie selon les régions, les organisateurs ou encore l’aisance de la famille. L’espace sonore est partagé entre les prières et les chants des moines, la musique de procession de l’ensemble traditionnel klong thank ou klong chhneah, éventuellement la musique militaire, les discours de la famille et des officiels. La musique de kantoam ming, à l’instar de celle du pin peat dans le cadre des cérémonies bouddhiques, comble les espaces temporels non utilisés par ces divers intervenants. Cette musique n’a donc pas, à proprement parler, de message sémantique à délivrer. Elle n'est pas prioritaire mais contribue à créer une ambiance funèbre à laquelle des Khmers sont particulièrement sensibles. Il arrive fréquemment que le kantoam ming et le pin peat se partagent ces espaces temporels vacants.
Nous allons décrire et analyser ici, l'organisation matérielle de la troupe de Vat Svay Thom lors d'un processus funéraire qui dura six jours, du 6 au 10 décembre 2017 au Vat Preah Prom Rath de Siem Reap. Il s'agissait de funérailles en grandes pompes de la propre mère du vénérable de cette pagode.
La troupe du kantoam ming de Vat Svay Thom a été présente durant toute cette période de 4/5h00 heures à 11h00, puis de 13h00 à 21/22h00. Chaque journée était toutefois de ponctuées de nombreuses pauses au cours desquelles d'autres intervenants prioritaires officiaient. Cela nécessite une organisation particulière. Les musiciens sont des semi-professionnels, dans le sens où ils partagent cette pratique musicale avec d'autres activités. S'il sont seulement trois à jouer, il sont en réalité une équipe de cinq personnes qui se relaient :
On peut parfois voir les musiciens endormis au beau milieu de leurs instruments. Une telle scène n'est pas considérée comme incongrue au Cambodge. En effet, elle rappelle la scène mythique peinte dans la presque totalité des pagodes du pays où sont représentée les musiciennes endormies au milieu de leurs instruments au moment où le Bouddha quitte définitivement son palais.
Mais peut aussi voir le hautboïste fabriquer de nouvelles anches pour son instrument.
Avant de commencer à jouer, les musiciens procèdent à une cérémonie (sampeah kru), courante chez les tous artistes, qui consiste à prier pour les maîtres de musique, morts et vivants. Le chef de la troupe allument des bougies et brûle des bâtonnets d'encens. Les offrandes se composent d'un couple de bay sey pak cham, chacun surmonté d'une bougie et de cinq bâtonnets d'encens, d'un couple de sla thor, d'une coupe comportant du riz cru, des feuilles de bétel et de cinq bougies, cinq bâtonnets d'encens, deux bouteilles d'eau et deux sodas, deux sachets de riz cru, une assiette contenant cinq types offrandes, chacune au nombre de cinq : cigarettes, fragments de noix d'arec, bâtonnets d'encens, feuilles de bétel enroulées, fleurs et un billet de 500 riels.
Tout au long de la semaine, les musiciens sont nourris et rémunérés par la famille organisatrice.
Le répertoire du kantoam ming est limité : celui de l'ensemble du Vat Svay Thom compte onze pièces pour le jeu statique et une pour les processions et celui du Vat Trach, seulement quatre. Les pièces ne sont pas liées aux phases du rituel comme c'est le cas par exemple pour les mariages. Le choix arbitraire incombe au joueur de hautbois.
Le 4 mars 2018 est une date importante dans le paysage de la reviviscence de la musique traditionnelle du Cambodge. Quelques semaines auparavant, Cambodian Living Arts organisait une rencontre entre un couple de Britanniques et les musiciens de l'ensemble kantoam ming de Maître Seng Norn au Vat Athvear, près de Siem Reap. Au cours des échanges qui ponctuaient les pièces musicales, le guide khmer, qui accompagnait le couple, mentionna l’existence d’un ensemble kantoam ming avec un chanteur dans son village !
C’est donc à l’occasion de funérailles collectives qui se déroulaient à proximité du Vat Trach, près du temple angkorien de Chaw Srei Vibol, que nous avons rencontré pour la première fois, Pong Pon et moi-même, les musiciens de cet ensemble.
Les instruments, hormis le hautbois, appartiennent au Vat Trach. L’ensemble se compose d’un hautbois sralai ou pei, d’un carillon de huit gongs kong skor, d’un unique grand gong kong et d’un tambour skor thom.
Compte tenu des particularismes et de l'unicité de cet ensemble, nous en décrivons ci-après les diverses composantes.
Le hautbois est en bois de kranhung. Il est muni d’une pirouette en forme d’œil, en plastique rouge.
Le carillon de gongs est le vestige d’un instrument qui a probablement un jour été cohérent. Le premier gong (le plus aigu) est cassé mais en place. Un neuvième gong a été attaché sous le second. Il est inutilisé car brisé lui aussi. Toutefois, cet ensemble ne peut accueillir que huit gongs car le cadre de rotin est divisé en quatre espaces délimités par des barres transversales prévus pour seulement deux gongs. Ce cadre est peint de couleur rouge. Les deux pièces terminales du cadre sont de faible épaisseur. Le huitième gong (le plus grave) est endommagé dans sa structure et ne sonne pas. Le cinquième est quant à lui d’un diamètre anormalement petit. Le musicien nous a expliqué qu’il avait recomposé la succession des gongs en fonction des mélodies et, probablement aussi, en fonction de l'état des gongs.
Le tambour en tonneau est de facture simple, sans sculpture, si ce n’est la pièce de bois située sous l’anneau de suspension, décoré d’une fleur de lotus. Il est peint de couleur rouge et repose sur un lit de troncs de bananier.
Le grand gong est typique du style des gongs thaïs avec un gros mamelon central entouré de huit petits mamelons. Il est accordé sur la note du hautbois qui ponctue la fin des phrases musicales.
Le chant s’intercale par intermittence entre les frappes du tambour et du gong. La mélodie suit celle jouée par le hautbois et le carillon de gongs. Il serait impossible pour le chanteur de chanter en permanence tant il donne de la voix. Ce procédé d’intermittence permet à la voix de se reposer. Les ensembles kantoam ming sont amenés à jouer plusieurs heures durant, sur parfois plusieurs jours d’affilé. Parfois, le chanteur s'abstient de chanter pour laisser reposer sa voix.
Nous avons étudié la pièce de répertoire jouée par l'ensemble de feu Maître Ling Srey (video ci-contre). Nous vous livrons ci-après le résultat de notre analyse.
La musique du kantoam ming s’inscrit dans la conception cyclique du temps khmer héritée de l’Inde. Chaque instrument a un rôle, indépendamment de la symbolique bouddhique évoquée plus haut.
Nous avons matérialisé le cycle ainsi les frappes des gongs et du tambour sur ce chronogramme avec une lecture anti-horaire, à l'image des danses funèbres, là où elles existent encore au Cambodge.
Les gongs et le tambour structurent le temps tandis que le carillon de gongs, le hautbois et le chanteur conduisent la mélodie. Nous n'avons toutefois pas porté la mélodie sur ce dessin.
Le cycle est structuré par la frappe des deux gongs et du tambour. Chaque cycle est ouvert et clos par la frappe simultanée de la peau du tambour (son kdung) et du grand gong (son mung) ; ce dernier marque également la moitié du cycle. Le son ming, selon les cas, marque les trois-quarts et parfois aussi le premier quart du cycle. Le tambour marque le premier quart (quand ce n’est pas le son ming) et d’autres subdivisions plus ou moins précises. Les gongs frappent sur les temps de silence du carillon. Dans cette pièce, deux mélodies distinctes se développent sur deux cycles consécutifs, puis se répètent.
Il convient de remarquer que l’intervalle entre l’ouverture du cycle et le premier quart ainsi qu’entre la première moitié et le troisième quart sont vides de frappes.
Le hautbois et le carillon de gongs jouent la même mélodie. Toutefois, comme c’est le cas dans la musique khmère en général, elle est interprétée différemment. Le kong peat structure le temps à l’intérieur du cycle en marquant plus ou moins les 32 subdivisions. Le hautbois le rejoint sur quelques points de rendez-vous mélodique.
Chaque mélodique instrumentale est associée à un chant connu ou inconnu des musiciens, selon leur degré de connaissance et de formation. À ce jour, il ne reste plus dans la région de Siem Reap qu'un seul chanteur connaissant quatre chants !
Les paroles d'un chant s’associent automatiquement à une mélodie dès lors qu'elle est connue de l'auditeur. Ainsi, la musique mélodique instrumentale est porteuse d’une sémantique qui peut être connue, ignorée ou oubliée. En résumé, plusieurs cas de figures se présentent :
Une mélodie n’est pas une banalité dès lors qu'elle est associée à un contenu. Pourquoi un hymne national cantonné à sa seule exécution mélodique inspire-t-il tant de respect ? Justement parce que le contenu sémantique sous-jacent doit être respecté. Généralement, l’audition de la seule mélodie déclenche chez l’auditeur-sachant, le chant muet des paroles s’il n’est pas obligé de chanter. A contrario, celui qui ne connaît pas les paroles n’entendra qu’une mélodie.
Les mélodies du kantoam ming (mais aussi du pin peat) sont porteuses d’un contenu sémantique qui pourrait nous éclairer sur l’origine des mélodies, encore faudrait-il que les chants sous-jacents soient transcrits et analysés à la lumière des connaissances historiques s’il en est. Le vocabulaire peut également être un élément de datation du chant selon qu’il appartient au khmer moderne ou éventuellement au khmer moyen.
En 2004, l'ONG Cambodian Living Arts, sise à Phnom Penh, convainc Maître Seng Norn et Maître Ling Srey de créer chacun une classe de kantoam ming à Siem Reap pour sauvegarder la pratique et le répertoire. Ce qui fut fait. Pong Pon, l'actuel directeur de la troupe de son propre grand-père, Maître Seng Norn, raconte : “Nous avons construit un chalet loin des habitations des villageois, dans le village de Trang pour dispenser les cours qui avaient lieu le soir de 19h à 21h ou 22h (parfois jusqu'à 23h) et tôt le matin à 4h, 5h30 ou 6h00. Au départ, il y avait pas mal d'étudiants. Puis certains ont abandonné car cette musique n'est pas spécialement joyeuse ! Six élèves et moi-même avons continué et, après quatre à cinq mois d'apprentissage, nous étions capables de jouer. Notre première performance a eu lieu au Vat Svay, près de Siem Reap. Nous avons transporté nos instruments de musique sur nos vélos ! À ce moment-là, nous n'avions aucune expérience. Nous savions seulement comment jouer. Nous avions des prestations funéraires à assurer une fois par mois ou tous les deux mois. Nous avons travaillé pour nous perfectionner jusqu'en 2006. Nous avons participé à un festival au Vat Bo, puis à Battambang, organisés par Cambodian Living Arts. Depuis, nous continuons à jouer lors de funérailles.”
Le répertoire dont il est question ici est celui de l'orchestre attaché au Vat Svay Thom située à une quinzaine de kilomètres de Siem Reap, le long de la RN6. L'ensemble a été fondé en 2004 par Maître Seng Norn avec le soutien de Cambodian Living Arts.
La totalité du répertoire de la troupe (11 pièces jouées statiquement lors des funérailles) a été interprétée le 3 novembre 2017 par trois jeunes musiciens formés par le Maître, enregistrée et filmée.
Les musiciens : Pong Pon (direction et sralai), Pong Rean (kong et skor thom), Tiem Tai (kong peat). Chacune de ces pièces est disponible par simple clic.
Nous avons mis en regard, les pièces disponibles jouées en situation funéraire quand elles étaient disponibles.
Situation funéraire
Selon Pong Pon, c'est toujours le joueur de hautbois qui a l'initiative du choix et du démarrage de chaque pièce. Quant au joueur de carillon de gongs, il suit le hautbois. Le hautboïste essaie de créer une stylistique en jouant avec divers artifices comme modifier la vitesse d'exécution. Quant au joueur de gongs et tambour, il ne compte pas les temps du cycle, mais se repère à la mélodie jouée par le hautbois pour frapper ses instruments.
Comme les chants sont oubliés depuis longtemps, les musiciens se repèrent à la mélodie.
Pour Pong Pon, ces pièces sont en quelque sorte des berceuses pour les morts. La pièce buat bampe pourrait d'ailleurs être traduite par “berceuse”. Quant à buat mahori, elle appartient aussi au répertoire éponyme du mahorī. Or, ce genre musical originellement de divertissement de la cour, consiste à “apaiser le cœur et l'âme”. Saveros Pou, dans les “Cahiers d'études franco-cambodgiens N°5 de juillet 1995” précise le sens du verbe paṃbe et son rapport avec la musique mahorī.
“Pour bien saisir le sens de cette musique (mahorī), il faut remonter même plus loin, au concept initial contenu dans le verbe baṃbe que les auteurs français avaient coutume de rendre par “bercer”. Or, une telle traduction, sans être erronée, était un piège en soi, car elle évoquait immédiatement le monde des nouveau-nés auxquels sont destinés des chants dits “berceuses”. Sans compter que le français bercer a pour sens premier le fait de “balancer” doucement, ce qui n’est nullement impliqué dans le verbe khmer. Paṃbe est de formation et de structure obscures, alors que son sens est clair et sans équivoque, à savoir “adoucir, adoucir au moyen des sons”, et à un degré moindre par des gestes. Son objet n’est pas constitué exclusivement de petits enfants, il englobe tous les êtres pourvus de perception et de sensibilité, donc dans la culture khmère les humains et les éléphants. Paṃbe consiste au départ à apaiser les sens — qu’on peut gloser par les “nerfs” dans le contexte moderne —, ce pour quoi je privilégie le terme détendre. De cette façon, on paṃbe les tout-petits pour les calmer et les endormir, aussi bien que les éléphants capturés durant le processus du dressage, en quelque sorte pour les urbaniser. La communauté khmère a développé la portée de ce verbe, d’une part en étendant l’usage aux adultes, et d’autre part en passant des facultés sensorielles au cœur, et en dernier lieu à l’âme. Le mahorī s’adresse aux adultes doués de sensibilité, de réflexion et voire d’intellect, et qui sont en quête de détente.”
Il semble donc que l'on puisse ajouter aux humains vivants et aux éléphants, les morts.
Maître Seng Norn est né en 1942. Il a commencé à apprendre la musique du kantoam ming à l'âge de 16 ans auprès de son père et de son oncle. Son ensemble comportait un kong peat avec 12 gongs que nous avons retrouvé.
Des carillons de neuf gongs sont visibles sur les bas-reliefs du XVIe siècle de la galerie nord du temple d’Angkor Vat. Aujourd’hui, ils sont joués par les trois ensembles de la région de Siem Reap. Toutefois, Pon Pong, aujourd’hui le chef de la troupe fondée par son grand-père, Maître Seng Norn, m’avait signalé depuis quelques mois, l’existence d’une série de douze gongs qui constituait, avant la révolution khmère rouge, un carillon kong skor. Son grand-père avait joué comme hautboïste dans l’ensemble kantoam ming dont faisait partie cet instrument. La propriétaire actuelle de ces gongs vit non loin des temples de Roluos. Le 4 mars 2018, nous avons pu la rencontrer, photographier et faire sonner ces gongs.
À première vue, l’ensemble se compose de deux types de gongs : un groupe de six, au mamelon étroit, semblant ancien, fabriqué par le même fondeur et un autre groupe, au mamelon plus large, plus récent. Mais à y regarder plus près, ce dernier groupe semble lui-même subdivisé.
La plupart des gongs ont perdu la charge de cire et de plomb qui permettait de les accorder. Aussi est-il impossible de se faire une idée de la gamme produite et de leur ordre sur le cadre de rotin.
L’un des gongs du second groupe comporte une belle et profonde inscription en pali. Selon Trent Walker (traduction), elle pourrait dater du début du XXe ou du XIXe siècle, voire plus tôt encore. Il s’agit d’un titre monastique devenu obsolète probablement depuis le milieu du XIXe siècle. L’inscription n’est plus parfaitement claire, mais il semble qu’il soit écrit : “អ្នកសម្តេចព្រះសិតវង្សា” soit Anak Samtec Braḥ Sitavaṅsā ou Neak Samdech Preah Setavongsa.
Un autre gong comporte le propre nom du propriétaire de l'ensemble des gongs, père de l'actuelle détentrice : ដៀម Ṭiem (Diem). Selon Trent Walker (traduction), elle pourrait date de la moitié du XXe s.
Un autre encore, une inscription sur tout le pourtour, mais elle est impossible de la déchiffrer compte tenu de la faible épaisseur de la gravure.
La propriétaire nous a expliqué qu’à la révolution, les gongs avaient été séparés de leur cadre pour être emporté dans un sac porté à l’épaule, comme un trésor familial ; deux tambours skor samphor ont quant à eux été placés dans une charrette à bœufs durant leur exode. Les gongs, malgré leur poids conséquent, n’ont pas été placés dans la charrette afin qu’ils ne tintent pas et n’attire pas l’attention des soldats khmers rouges.
La musique funéraire du kantoam ming vit une grave crise vocationnelle. En effet, le sujet des funérailles n'est pas très attrayant pour la jeunesse du XXIe siècle. En 2004, lorsque Cambodian Living Arts vint à la rescousse de cet art, plusieurs étudiants avaient semble-t-il abandonné pour cette raison. Par ailleurs, les ensembles actuels ne faisant aucune promotion, leurs contrats sont rares, ce qui incite les musiciens a avoir une autre activité professionnelle. Puis, du fait de cet engagement professionnel, ils ne peuvent accepter aucun contrat comme musicien. C'est pourquoi le kantoam ming continue de tomber en déshérence.
Nous écrivons ces lignes en décembre 2020. L'ensemble kantoam ming de Pong Pon continue de jouer dans le cadre des funérailles à Siem Reap et ses environs. De nouveaux jeunes se sont formés et permettent désormais d'organiser un roulement lorsqu'il est nécessaire de jouer plusieurs jours d'affilée.