MAJ : 3 décembre 2023
Le sralai ស្រឡៃ est un hautbois. On en distingue trois types au Cambodge :
1. sralai toam ming ស្រឡៃទាំមីង joué dans l'ensemble funéraire kantoam ming កន្ទាំមីង (sralai, sralai toam ming, pei ប៉ី).
2. sralai pin peat ស្រឡៃពិណពាទ្យ de l'ensemble éponyme. Cet instrument se décline selon deux tessitures : sralai touch ស្រឡៃតូច (soprano) et sralai thom ស្រឡៃធំ (alto).
3. sralai jaiy joué lors des compétitions d'arts martiaux. Du fait de ses influences thaïes, il est parfois appelé sralai klong kaik ou encore sralai cheang.*
En 2020, nous avons identifié, grâce au remontage du mur de la galerie occidentale du temple de Banteay Chhmar (XIIe s.), un hautbois jouant dans un orchestre martial. (voir le chapitre Galerie occidentale : orchestre martial 6). Jusqu'à cette date, le hautbois n'était connu qu'à partir du XVIe s. grâce aux bas-reliefs de la galerie nord d'Angkor Vat. Il existe aussi deux représentations du même type d'instrument sur deux fresques du sanctuaire central (bakan) identifiés par Sounds of Angkor, qui pourraient a priori dater de la même époque (à consolider par une expertise scientifique). Voir notre article à propos de ces fresques, ici.
* Keo Narom. Cambodian Music, 2005.
Tous les hautbois khmers se caractérisent par l'usage d'une anche quadruple fabriquée à partir de la feuille du palmier à sucre daem tnaot ដើមត្នោត séchée. Dans la vidéo ci-contre, le musicien khmer Pon Pong montre la fabrication d'une telle anche.
Les hautbois représentés au XVIe s. sont de forme conique. Ils sont reconnaissables à leur pirouette en noix de coco en forme d'ailes de chauve-souris. Voir notre page hautbois dans la section des instruments anciens. Dans l'ensemble kantoam ming attaché au Vat Svay Thom à Siem Reap, le hautboïste Pon Pong joue avec ladite pirouette. Keo Narom, dans son ouvrage “Cambodian Music”, 2005, écrit : “the instruments [with coconut shell] seem to have been used continuously up until the 1960s. Today, teachers no longer use coconut shells to assist the breathing on their own.” Traduction : “les instruments [avec pirouette en noix de coco] semblent avoir été utilisés sans interruption jusqu'aux années 1960. Aujourd'hui, les enseignants n'utilisent plus la pirouette en noix de coco pour faciliter le souffle continu.”
Lors de nos premières années de recherches, nous connaissions les bas-reliefs du XVIe s. représentant ces pirouettes, mais ignorions qu'elles étaient encore utilisées au Cambodge. C'est lors d'une rencontre, un jour de répétition avec l'ensemble kantoam ming du Vat Svay Thom, que le hautboïste Pon Pong sortit de ce sac la fameuse pirouette. Nous lui avons alors demandé pourquoi il ne l'utilisait pas. Il a répondu : “pas en public”. Il l'utilisait seulement durant les répétitions. Cela semble répondre une fois encore à une problématique liée à l'égo ; un musicien qui jouerait avec la pirouette montrerait qu'il ne maîtrise pas totalement la technique du souffle continu. Nous avons alors encouragé Pon Pong à réutiliser cet objet pour démontrer la permanence des pratiques musicales au Cambodge. Ainsi fut fait.
Sralai pin peat ស្រឡៃពិណពាទ្យ ou simplement sralai tire son nom de son usage exclusif dans l'ensemble pin peat. Il se compose d'un gros corps en bois, biconique et avec un renflement central. Il est percé de six trous de jeu. Les quatre trous supérieurs sont équidistants tandis que les deux trous inférieurs sont légèrement plus éloignés, ce qui oblige le joueur à écarter les deux doigts inférieurs plus que les quatre doigts supérieurs. Il existe une décoration autour des trous appelée kantuet. Outre son anche quadruple, ce qui le caractérise est sa perce très légèrement conique, alors que la conicité est une caractéristique des hautbois à travers le monde. Le corps est fabriqué dans du bois noir ou rouge : kranhung, neang nuen. L'instrument ne comporte pas de pirouette, cette pièce de corne ou de métal insérée entre la base de l'anche et le haut du corps de l'instrument car le large diamètre de ce sralai joue déjà ce rôle.
Selon la structure du pin peat, la disponibilité des musiciens ou la richesse du commanditaire, le pin peat peut jouer sans sralai, avec un sralai touch ou encore avec ce dernier associé au sralai thom.
En cours de rédaction.
Le jeu du sralai, quelle qu'en soit sa nature, est basé sur la technique du souffle continu, répondant ainsi au critère, cher à la musique khmère, de s'abstenir de tout silence, si bref soit-il. Cette contrainte, cumulée à la longueur de certaines cérémonies, font de la pratique du hautbois une performance physique. Autrefois, le hautbois était le leader de l'orchestre pin peat, rôle aujourd'hui dévolu au xylophone roneat ek.
L'ensemble pin peat, et le sralai en particulier, sont sources d'inspiration pour la décoration des édifices des monastères bouddhiques. Nous en offrons ici quelques exemples.
Ensemble kantoam ming.
Ensemble pin peat avec un sralai.
Ensemble pin peat avec deux sralai.