MAJ : 17 mars 2021
La présente étude du Chapei Dang Veng, entièrement publiée sur ce site, souffrait d'un manque de pragmatisme quant à la facture instrumentale. Autrefois, la lutherie était affaire de luthiers professionnels ou des musiciens eux-mêmes. Mais ces acteurs ont presque tous disparus, emportant avec eux leurs secrets. C'est pourquoi nous avons souhaité nous confronter au terrain de la lutherie en créant un nouveau pôle de fabrication du chapei au Cambodge. Celui-ci permet à la fois de constituer une collection des diverses typologies instrumentales et de retrouver les techniques de fabrication anciennes.
Aujourd’hui, le nombre de luthiers est très faible et la facture tend à se standardiser, ce qui n’était pas le cas avant la révolution. Toutefois, comme la demande est plus grande que l'offre (en 2019), les fabricants font pour l'instant du sur-mesure, répondant au coup par coup à la demande de leurs clients. Cette dernière provient essentiellement des étudiants de la Communauté Vivante du Chapei (Community of Living Chapei). Aussi ne trouve-t-on pas d'instruments “sur étagère” au Cambodge.
Au fil de l'histoire, la technologie des instruments a changé simultanément aux goûts esthétiques et acoustiques des musiciens. Toutefois, un chapei se reconnaît toujours au premier d'œil, qu'il soit du XVIIIe ou du XXIe siècle.
De nos jours, on trouve de moins en moins d'instruments anciens (avant 1975) sur le marché. Depuis l'inscription du chapei par l'UNESCO en 2016, les consciences se sont éveillées. Les propriétaires d'instruments anciens conservent leurs trésors comme des reliques. Certains, musiciens ou non, les collectionnent. On peut parfois apercevoir des spécimens anciens dans certains hôtels de bon standing.
Notre objectif est aujourd'hui de constituer une collection de typologies permettant de montrer à la fois l'évolution et la diversité de la facture instrumentale entre le XIXe et le XXIe siècle. Une fois aboutie, elle sera présentée au public, accompagnée d'archives photographiques.
Pour constituer une telle collection, faute d'instruments anciens disponibles, il existe la voie de la réplique. C'est ce que nous avons entrepris à Siem Reap. Mais pourquoi à Siem Reap ? Dans le cadre de cette recherche, nous avons rencontré les luthiers de Phnom Penh (Chum Prosar et Long Bora Rith) qui fabriquent à la demande des instruments modernes. Mais lors de nos entretiens, nous nous sommes rendu compte que leur planning ne leur permettait pas de se lancer dans un tel projet. C'est pourquoi, nous sommes revenus vers les luthiers de Siem Reap avec lesquels travaille Sounds of Angkor depuis quelques années pour faire renaître les instruments angkoriens.
De plus, Siem Reap offre deux avantages majeurs. Primo c'est la ville où nous (Patrick Kersalé) habitons. Secondo, comme il n'existe pas de luthiers spécialisés dans la production de chapei dans cette ville, nous avons souhaité y développer un pôle de lutherie d'excellence.
Notre objectif est d'offrir à des professionnels de Siem Reap, qu'ils soient déjà fabricants d'instruments de musique ou seulement sculpteurs, l’opportunité de développer de nouveaux savoir-faire. Dans le cadre de la reconstitution de ses instruments angkoriens, Sounds of Angkor travaille déjà avec plusieurs artisans de Siem Reap :
Nous avons également développé un partenariat avec deux artisans français, l’un spécialiste de la laque naturelle et de la feuille d’or, l’autre de la laque acrylique.
La fabrication des chapei anciens nécessite diverses compétences dans le travail des matériaux : sculpture, tournage et et bandage du bois, usinage et incrustation de l'os et de la corne, confection de cordes de soie à l'ancienne.
Le problème majeur auquel se heurtent les facteurs réside dans l'approvisionnement des matériaux. Alors, compte tenu de la raréfaction de certaines essences et de l'interdiction de l'usage de l'ivoire, nous avons décidé d'utiliser des bois aux qualités et couleurs approchantes. L'os et la résine se substituent à l'ivoire.
Ce projet expérimental a plusieurs vertus :
Deux luthiers se partagent la tâche pour répliquer les chapei anciens, selon leur savoir-faire initiaux.
Ces deux artisans de Siem Reap n'avaient, avant 2019, jamais fabriqué de chapei. Nous avons donc décidé de commencer par répliquer un instrument relativement simple, prêté par un privé, le temps de la reproduction.
Nous ignorons tout de cet instrument : date, provenance, facteur. Il est d'une qualité de facture assez modeste avec quelques gravures en losange sur le pourtour de la table d'harmonie ; cinq trous en quinconce ornent son centre.
Cette première réplique a permis aux deux luthiers de se familiariser avec la fabrication des diverses pièces constitutives.
Des machines ont été utilisées pour la découpe et la perce de la caisse de résonance, du manche et le tournage des chevilles. Toutes les opérations de sculpture ont été réalisées manuellement.
Le bois utilisé pour l'ensemble des pièces est le jacquier sauvage ខ្នុរព្រៃ.
La réalisation de cette seconde réplique était un challenge car nous ne disposions pas directement de l'instrument. Toutefois, en juillet 2019, nous avons pu, à Paris, faire une empreinte du contour de l'instrument, des photographies et des relevés dimensionnels. Nous avons également pu accéder au dossier de restauration comportant des photographies de l'intérieur de la caisse de résonance.
Nous avons consacré un chapitre à ce projet. Cliquez ici.
Dans le cadre de la constitution de notre collection de typologies de chapei, il arrive que de généreux donateurs se séparent de leurs instruments. Ce fut le cas en octobre 2019 où un expatrié français offrit à Sounds of Angkor un instrument ancien acheté quelques années auparavant ; le manche était cassé et des frettes manquaient. Nous avons donc entrepris de le restaurer. Le donateur ignorait tout de sa provenance et de son ancienneté.
L'instrument semble avoir déjà subi une restauration à des fins de conservation pour la décoration car les frettes n'occupent pas une place compatible avec la gamme khmère de sept notes. Malgré tout, nous avons opté pour une restauration à l'identique de la dernière restauration. Comme le manche était cassé, le revêtement de couleur noire avait disparu, laissant apparaître une différence de teinte. Le vernis de couleur qui recouvrait l'ensemble de l'instrument a été expertisé par notre partenaire Éric Stocker. Nous lui avons confié la réfection intégrale de la gomme laque à l'identique.
Étapes de la restauration : collage des deux parties du manche avec renfort d'un goujon de bois, ajout de pâte à bois dans les creux, fabrication et collage des frettes manquantes, dépoussiérage et dégraissage, vernis gomme-laque à l'ancienne.