Influence de l'Inde sur la musique de l'Asie du Sud-Est


MAJ : 18 juin 2024


La musique de l’Asie du Sud-Est est d’une grande diversité. On y trouve des musiques aujourd’hui considérées comme autochtones eu égard à leur ancienneté, — bien que toujours métissées — mais aussi des influences plus récentes, à l’échelle des deux derniers millénaires : indienne, moyen-orientale et occidentale pour les plus marquantes. Les deux dernières sont nées de volontés hégémoniques : islamisation pour le Moyen-Orient, christianisation et domination économique pour l’Occident. Mais qu’en est-il de l’influence indienne ?


L’influence indienne

 Navire à balancier. Borobudur IXe s. Indonésie.
Navire à balancier. Borobudur IXe s. Indonésie.

La diffusion de la culture de l'Inde méridionale a profondément et durablement influencé le cours historique de la majorité des nations d'Asie du Sud-Est continentales et insulaires. Ce processus d'acculturation a pris naissance pour certaines d'entre elles dès les premiers siècles de l'ère commune. À cette époque, des navigateurs indiens cherchaient à établir des comptoirs commerciaux par voies maritimes, sans être guidés par quelque volonté hégémonique. La culture indienne s'est alors progressivement et pacifiquement immiscée dans des zones peuplées de petits groupes de chasseurs-cueilleurs ou de riziculteurs aux croyances animistes, entretenant des relations avec les esprits tutélaires de la nature et vraisemblablement aussi avec ceux associés aux objets du quotidien : demeures, greniers à riz, escaliers, mobilier...

Bouddha couché. Asie du Sud-Est. © Patrick Kersalé 2022.
Bouddha couché. Asie du Sud-Est. © Patrick Kersalé 2022.

L'existence de vestiges archéologiques et des pratiques religieuses hindouistes et bouddhistes en constituent des preuves indéniables. Lettrés, penseurs, prêtres hindous et moines bouddhistes diffusèrent de nouvelles connaissances, véhiculèrent des savoirs technologiques et des savoir-faire. Les épopées du Rāmāyaṇa et du Mahābhārata furent adoptées puis adaptées. Si certains enseignements, porteurs d'un fonds religieux et philosophique, se transmirent par la seule parole, d'autres nécessitèrent des "mises en scène". À cette fin, hindouistes et bouddhistes apportèrent, par-delà les textes sacrés, des outils pour communiquer avec leurs divinités respectives. Le plus important d'entre eux est sans aucun doute la danse ou plus exactement un "théâtre total" aux multiples ingrédients : la danse proprement dite, les chants, la musique avec un décorum : accoutrements, bijoux, masques, etc. Dans le système de pensée animiste, toujours existant dans certaines régions d'Asie du Sud-Est, existe un système de don contre-don : les gens font des offrandes et des sacrifices aux entités spirituelles à la fois pour se protéger de leurs éventuels méfaits, mais aussi pour s'attirer leurs grâces. Le système de croyance hindou fonctionne sur des fondements similaires : les biens acquis sont une grâce divine et une partie doit être rendue aux divinités. On ignore si, dans les sociétés contactées par les Indiens, la danse faisait déjà partie des offrandes aux entités spirituelles, mais certaines populations animistes, non converties à l'hindouisme, dansent depuis des siècles au cours de leurs cérémonies religieuses. Le terreau de l'animiste semble donc avoir été fertile pour le développement de l'hindouisme et d'un bouddhisme proche des pratiques hindouistes ; un tel bouddhisme exista notamment dans l'Empire khmer, fin XIIe–début XIIIe siècle, sous le règne du roi Jayavarman VII.

L'importance de ces nouveaux paradigmes était telle qu'il ne fut plus possible de revenir en arrière, sinon d'adapter les acquis aux modes du moment en saisissant les apports technologiques innovants. Pour ne parler que de la musique, les orchestres à cordes, religieux et palatins, évoluèrent vers plus de puissance sonore afin d'élargir la zone de réception auditive, sans modification de leur structure de base afin de ne pas altérer leur symbolisme.


Les sources

Il existe quatre sources tangibles attestant des influences indiennes en Asie du Sud-Est :

L’ethnographie. La plus visible est la présence du bouddhisme, pure création indienne, présent dans tous les pays de cette partie du monde, avec des influences directes de l’Inde et du Sri Lanka, ou parfois indirectes, avec de longues périodes de maturation-transformation dans d’autres régions, notamment la Chine. Les influences de l’hindouisme demeurent tangibles à Bali et, dans une moindre mesure, au Cambodge, au Laos et en Thaïlande.

L’iconographie. Le Cambodge et le centre Viêt Nam, ex-Champa, (VIIe-XIIIe s.) et Java centre (IXe s.) offrent les plus grands imagiers de pierre du sud-est asiatique. Des instruments d’origine indienne, adaptés aux cultures locales, se déploient sur des centaines de mètres linéaires sculptés.

L’épigraphie. Des textes gravés dans la pierre, en sanskrit ou dans une langue locale, dont les plus anciens remontent au VIIe siècle au Cambodge, attestent de pratiques musicales religieuses. Les termes nommant les instruments musicaux sont clairement d’origine indienne.

Les objets. Tous les pays d’Asie du Sud-Est sont soumis au climat de mousson. Aussi, les objets issus de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites sont essentiellement en bronze, en céramique et en pierre pour ce qui concerne les instruments de musique ou plus exactement les objets sonores de communication (cloches, arbres à cloches, conques, sonnailles).


Les routes du bouddhisme

Le bouddhisme Theravada, majoritaire dans le du sud-est asiatique continental, n’utilise aucun instrument de musique pour accompagner les chants des moines. Les premiers témoignages du chant a cappella sont rapportés par le chroniqueur chinois Zhou Daguan (周達觀) à la fin du XIIIe siècle au Cambodge.

Rassemblement de 5000 moines à Angkor Vat le 5 décembre 2017. © Patrick Kersalé 2017-2024.
Rassemblement de 5000 moines à Angkor Vat le 5 décembre 2017. © Patrick Kersalé 2017-2024.

À ce jour, les seuls instruments sonores employés au sein des monastères bouddhistes revêtent une fonction purement utilitaire de communication, servant à convoquer les moines pour le réveil, la prière et les repas, ou à alerter les fidèles en cas de cérémonie ou de danger imminent (menace ennemie, incendie, pandémie). Les séquences rythmiques frappées sur les tambours à ces fins demeurent, à quelques variantes près, communes à l'ensemble des établissements monastiques du Sud-Est asiatique, laissant supposer qu'elles pourraient être aussi anciennes que leur principe même. Quant à la cantillation a cappella des textes bouddhiques, dont il existe diverses formes, elle tire ses origines de pratiques ancestrales de l'Inde antique. La transmission de ces textes s'effectue au sein d'écoles monastiques accueillant de quelques dizaines à parfois plusieurs milliers de moines de tous âges. Si le corpus textuel, immuable en théorie, est consigné par écrit, les modalités de sa récitation (cantillation, chants, polyphonies...) relèvent d'une tradition orale stable grâce à sa perpétuation multigénérationnelle — l'ordination monastique étant accessible à tout âge — et à l'importante circulation des étudiants, qui repartent ensuite vers divers monastères pour y transmettre à leur tour ce fonds et ces formes. Ce mode de transmission remonte à l'époque où le Bouddha édicta les règles monastiques, voici deux millénaires et demi.


Les routes de l’hindouisme

Angkor Vat, le plus grand temple hindou hors de l'Inde. XIIe s. © Dimitri Meas 2017-2024.
Angkor Vat, le plus grand temple hindou hors de l'Inde. XIIe s. © Dimitri Meas 2017-2024.

L'expansion de l'hindouisme à travers l'Asie du Sud-Est a conduit à l'émergence de nombreuses entités politiques de dimension restreinte. Au Cambodge, l'unification progressive de ces principautés hindouisées a donné naissance à l'Empire khmer, dont le territoire englobait les régions correspondant à l'actuel Cambodge ainsi que des portions de la Thaïlande, du Laos et du Viêt Nam. Un processus analogue s'est produit avec l'avènement du royaume de Champa dans la province centrale vietnamienne de Đà Nẵng, et du royaume de Majapahit dans la partie orientale de l'île de Java en Indonésie. Au-delà des vestiges archéologiques omniprésents dans ces différentes contrées, un patrimoine immatériel d'origine hindoue perdure (prières, cosmologie, numérologie...). L'île de Bali constitue aujourd'hui le dernier bastion de pratiques religieuses dérivées de l'hindouisme, quoique profondément syncrétisées avec des croyances animistes locales. On y retrouve notamment l'usage par les brahmanes de la clochette cérémonielle à demi-vajra, dont les origines remontent à l'Inde ancienne.


Les instruments indiens dans la musique d’Asie du Sud-Est

La conque est un marqueur tangible de la l'influence brahmanique de l'Inde sur Asie du Sud-Est. Elle est l'attribut du dieu Vishnu. Ici, huit baku du Palais royal du Cambodge lors des funérailles du roi Norodom Sihanouk en février 2013. © Socheat Chea.
La conque est un marqueur tangible de la l'influence brahmanique de l'Inde sur Asie du Sud-Est. Elle est l'attribut du dieu Vishnu. Ici, huit baku du Palais royal du Cambodge lors des funérailles du roi Norodom Sihanouk en février 2013. © Socheat Chea.

Durant la période s'étalant du VIIe au Xe s., l'iconographie des temples et les inscriptions épigraphiques permettent de distinguer trois catégories d'usage des instruments musicaux — ou de communication sonore :

Les outils sonores utilisés par les officiants hindous : clochettes manuelles avec ou sans demi-vajra, arbres à cloches, conques en coquillage ou leurs répliques en terre cuite.

Les orchestres à cordes se produisant dans les temples hindous et bouddhistes (avant l'avènement du bouddhisme Theravada), ainsi que dans les cours royales et princières.

Les orchestres martiaux : trompes, conques, tambours et cymbales.

Pour les usages religieux, on observe une parfaite cohérence dans l'instrumentarium musical de l'Empire khmer, du Champa et de Java central, qu'ils fussent adeptes de l'hindouisme ou du bouddhisme, avec la présence des mêmes luths, cithares, harpes, flûtes, tambours, cymbales et racles. Si l'on se fie à l'iconographie et à l'épigraphie, il existait un nombre fini d'instruments au service des temples. La musique populaire des pays d'Asie du Sud-Est continue aujourd'hui d'utiliser ces instruments d'origine indienne, certains quasi inchangés, d'autres adaptés au fil du temps.

Nous disposons en revanche de peu d'informations sur les instruments de musique populaire anciens, ceux-ci ayant disparu et la sculpture et la littérature n'offrant que peu de renseignements à leur sujet.

Au Cambodge, se trouvent les plus anciennes représentations d'instruments de musique et inscriptions sur pierre évoquant la musique religieuse, l’une et l’autre au VIIe siècle. Parmi celles-ci, la cithare monocorde (kañjaṅvīṇa — actuel kse diev ខ្សែដៀវ* — représentée sur un bas-relief du site archéologique de Sambor Prei Kuk. Cet instrument est également connu en Thaïlande, issu de la source khmère. L’autre instrument le plus ancien et le plus répandu, également d’origine indienne, sont les petites cymbales chhing ឈិង* présentes dans tous les orchestres à cordes, sans discontinuité jusqu’à nos jours.


La harpe

Nous aborderons à présent le cas de la harpe, dont la structure organologique constitue un marqueur essentiel pour appréhender l'évolution de la musique elle-même.

Le Sāmaveda (env. 1800-1500 AEC) est le premier écrit mentionnant le terme vīṇa, vocable générique désignant des cordophones à usage rituel, sans préciser s'il s'agit de harpes, de cithares ou de luths. Plus tardivement, vers 500 av. J.-C., la littérature classique indienne l'évoque comme un instrument de divertissement de cour. Ce dernier rôle se trouve confirmé à travers l'art bouddhique du IIe s. au VIe s. AEC. environ, où rois, nobles, divinités mineures et courtisanes sont représentés jouant de la harpe, soit en solo, soit pour accompagner le chant et animer la danse. La harpe continue d'apparaître sporadiquement dans l'iconographie jusqu'à la fin du premier millénaire, pour progressivement disparaître en Asie du Sud, à l'exception du waji du Nuristan, du bin-baja des Pardhan du Madhya Pradesh et, en Asie du Sud-Est, du t'na ou nade des Karen du Myanmar et de Thaïlande, ainsi que du saùng-gauk birman. 


En Inde, la harpe disparaît de l'iconographie entre les Xe et XIIe siècles, période à laquelle, a contrario, sa représentation iconographique connaît une explosion dans les temples bouddhistes du Cambodge érigés sous le règne du roi Jayavarman VII, en particulier le Bayon et Banteay Chhmar. Nous savons depuis peu que la harpe était connue au Cambodge dès le IIe siècle apr. J.-C. grâce à un médaillon trouvé en 2020 dans un cimetière, représentant une harpe aux contours similaires aux instruments de la dynastie Shunga. On peut ensuite retracer sa présence entre le VIIe et le début du XIIIe siècle. Puis sa trace se perd après la mort du roi Jayavarman VII (av. 1150-1218 ou 1219 CE), très peu de constructions durables ayant été édifiées sur lesquelles elle aurait pu être sculptée. Par ailleurs, aucune épigraphie ne mentionne plus l'instrument au-delà du IXe siècle.

Toutefois, grâce à la science et aux recoupements possibles entre diverses sources, nous avons pu retracer une partie de son odyssée, du sud de l'Inde au nord de la Chine (grottes de Mogao), en passant par Java central (Borobudur) et le Champa. Au Cambodge, son nom n'a pas été oublié et se trouve aujourd'hui encore associé aux instruments à cordes typiquement khmers. Sa forme elle-même a été conservée dans les décors des monastères bouddhiques, exclusivement dans la scène dite de la "leçon des trois cordes" où Indra explique au Bouddha la notion de la Voie du Milieu. Le terme khmer moderne désignant la harpe est pin ពិណ ; il dérive du mot sanskrit vīṇā वीणा qui désignait, en Inde, toutes sortes de cordophones. En vieux khmer, la harpe a toujours été nommée viṇā.

Nous ignorons les raisons de la disparition de cet instrument en Inde, mais cela pourrait être dû à ses contraintes fonctionnelles. En effet, sa technologie — une corde, une note — ne permet pas de suivre les inflexions de la voix, contrairement aux cithares et luths. À l'inverse de l'Inde, la voie choisie par la plupart des pays d'Asie du Sud-Est, dans la lignée de cette contrainte technologique de la harpe, a été d'adopter les xylophones et carillons de gongs, instruments à notes fixes contraignant le jeu musical à des mélodies pentaphoniques ou heptaphoniques, tandis que l'Inde empruntait parallèlement la voie de mélodies microtonales rendues possibles par les cithares et luths, contrainte toutefois assouplie par le jeu du hautbois dont la ligne mélodique peut être modulée et imiter la voix.


L’Asie-du Sud-Est, un conservatoire de pratiques musicales disparues en Inde ?

Le musicologue Alain Daniélou* écrit ceci  : « Il est difficile de déterminer avec certitude dans quelles proportions le système classique cambodgien, basé sur des instruments à sons fixes, s’apparente à un des anciens systèmes indiens ou représente une tradition indépendante. Certaines percussions mélodiques ont existé de tout temps dans l’Inde, et il semble fort probable que le système du Gândhâra-grâma (échelle à sept tons égaux appelée la “gamme céleste”), considéré déjà comme perdu par les auteurs sanscrits de l’époque classique, se réfère à une échelle mélodique qui ne se retrouve aujourd’hui qu’en Indochine et au Siam. »

Compte tenu des éléments exposés concernant la harpe, l'Asie du Sud-Est pourrait effectivement constituer une sorte de conservatoire des échelles scalaires de l'Inde ancienne. Les contraintes de l'échelle équiheptaphonique ont été contournées par une recherche de jeu polyphonique dans lequel chaque instrument interprète la même pièce, mais différemment.

Nous ne disposons d'aucune information sur le système scalaire existant avant l'hindouisation et la bouddhisation du Cambodge. Cependant, on peut avancer la prédominance d'un système pentaphonique toujours présent chez les Khmers pour certains répertoires. Ce système scalaire est dominant, voire exclusif, chez les populations forestières des confins frontaliers du Cambodge, du Laos et du Viêt Nam. À Java, sont également utilisés deux systèmes scalaires coexistant au sein d'un même orchestre, l'un pentaphonique (slendro), l'autre heptaphonique (pelog), ce qui pourrait laisser penser à une volonté de sauvegarder un patrimoine musical ancien (pentaphonique) tout en en adoptant un nouveau (heptaphonique), venu de l'Inde.

Cette hypothèse d'une préservation d'échelles musicales anciennes en Asie du Sud-Est, tandis que l'Inde évoluait vers des systèmes microtonaux plus complexes, semble corroborée par la persistance de l'utilisation d'instruments à sons fixes comme les xylophones et les carillons de gongs, contraignant le jeu musical à des gammes pentatoniques ou heptatoniques. La polyphonie apparaît alors comme une solution élaborée pour contourner ces limitations inhérentes aux instruments.

 

*Danielou, Alain. La musique du Cambodge et du Laos. Pondichéry : Institut Français de Pondichéry, 1957.


Structures orchestrales

Un autre marqueur de l'influence indienne sur la culture musicale de l'Asie du Sud-Est réside dans la structure des orchestres à cordes, religieux et palatins. L'iconographie des temples khmers, chams et de Java central montre des orchestres dont la structure est similaire aux plus anciennes représentations iconographiques du sud de l'Inde. Il convient de ne pas s'attacher aux détails de chaque instrument, mais à leur organologie générale (cithares, luths, harpes, tambours, cymbales).

Nous présentons ci-après un tableau récapitulatif dont la base de référence sont les listes du temple de Lolei, dans l'antique cité d'Hariharalaya (Cambodge, IXe siècle). Nous avons retenu cette liste car elle est la plus exhaustive que nous connaissions en Asie du Sud-Est pour les périodes anciennes. Elle ne mentionne pas directement les instruments de musique, mais les joueurs et joueuses d'instruments. Pour des raisons pratiques, nous avons fait le choix de ne citer que le nom des instruments. Il existe même une hiérarchie fonctionnelle préservée jusqu'à ce jour à la cour du Cambodge et de Thaïlande. Pour diverses raisons (opportunités, mode, puissance sonore accrue...), certains instruments ont changé au fil du temps, mais la structure indienne initiale des orchestres a été préservée. Certains instruments de moindre importance sont mentionnés dans la liste au-delà de la harpe. Si toutefois ils ont trouvé une continuité à l'époque angkorienne, ils n'ont jamais été ni représentés, ni cités. Certains semblent être des luths, si l'on se réfère à l'étymologie des termes. C'est notamment le cas pour le trisarī qui serait un luth tricorde d'origine indienne figurant dans l'iconographie de la même période à Borobudur, au Champa et au Siam.


Quel devenir pour de patrimoine ancien de l’Inde en Asie du Sud-Est ?

La contrainte majeure des orchestres indiens anciens résidait dans la faible puissance sonore des cordophones. Un certain nombre d'entre eux ont été supplantés voilà plusieurs siècles par des instruments originaires du Moyen-Orient, apportés lors des conquêtes musulmanes (Java, Malaisie, Bali, Cambodge, Siam), peut-être en raison du fait que les révolutions idéologiques nécessitent une amplification. En effet, pour prendre le pouvoir, fut-il politique ou religieux, il faut se faire entendre. Avant l'avènement du microphone et du haut-parleur, l'Homme a construit des édifices avec une acoustique permettant à la voix de porter plus loin. Mais il a aussi choisi des instruments de musique puissants (hautbois, cornemuses, xylophones, carillons de gongs...) qui se sont perpétués, laissant de côté les instruments à cordes. La disparition progressive des cours royales et princières a également conduit à la dissolution des orchestres à cordes d'origine indienne. Heureusement, comme la plupart des cordophones peuvent être fabriqués par les pauvres à moindre frais, ils ont perduré en dehors des cercles de pouvoir. Par ailleurs, certains états-nations ont pris conscience de la richesse de ce patrimoine, comme le Myanmar qui a préservé d'une disparition inéluctable la harpe saùng-gauk érigée en "instrument national". Des programmes de reconstitution, comme celui de Sounds of Angkor au Cambodge, ont permis de reconstituer tous les instruments de l'Inde ancienne représentés dans l'iconographie des temples khmers. Aujourd'hui, tous ces trésors du passé bénéficient de l'amplification électronique au cours des spectacles vivants et de l'Internet pour une diffusion et une promotion mondialisées.