MAJ : 3 décembre 2023
Au cours de nos recherches, la racle (ou racleur) a été l'instrument le plus difficile à identifier. Il existe toujours au Cambodge mais désormais peu utilisé. Nous proposons ci-contre une reconstruction qui combine une influence khmère et vietnamienne.
La racle a été présenté par les auteurs qui nous ont précédé comme étant une vièle à résonateur buccal voire même une vièle tro khmer ! Il existe certes une vièle sans résonateur physique chez les minorités des hauts-plateaux des confins frontaliers du Cambodge, du Vietnam et du Laos, mais cet instrument, malgré ses ressemblances apparentes avec les représentations angkoriennes, ne peut être confondu. Nous en proposons ici trois photographies prises dans trois ethnies différentes au Vietnam (A : J’rai, B : Bahnar) et au Cambodge (C : Kreung). Nos observations des bas-reliefs, nos centaines d’heures passées à détourer les musiciens et les instruments, nous ont convaincus de la pertinence de l’iconographie. Même si des imperfections sont notables ici et là, la position de jeu est généralement correcte. Nous l’avons déjà mentionné, quelques rares bas-reliefs ne peuvent être retenus du fait de leur médiocrité générale, mais lorsque la redondance d’une image de qualité s’impose, on ne peut émettre le moindre doute. Voici les raisons qui nous amènent à abandonner l’idée de la vièle à résonateur buccal :
Une version khmère existe également, le krap chmol.
L’instrument khmer ancien est associé au jeu de la harpe dans les cas 1 et 3. Dans le cas 2, le sculpteur a fait le choix de cette représentation minimaliste faute de place semble-t-il. Un
personnage dont on aperçoit la tête derrière pourrait être le ou la harpiste. L’orchestre est associé à des danseuses.
À la période préangkorienne, dans les listes de dotation du temple de Lolei, il est question d’un instrument dénommé chko joué par les « joueuses d’instruments à corde(s) ». Il est
pratiqué durant les semaines claires en alternance avec le trisarī joué les semaines sombres. Ayant épuisé toutes les possibilités offertes par l’iconographie indienne, khmère et chame,
cet instrument pourrait être soit une racle, soit une claquette de bois à l’image de celles existant aujourd’hui encore en Thaïlande et au Cambodge. Le caractère onomatopéique du mot renforcerait
cette hypothèse. De plus la joueuse s’appelle Can Cān. Il s’agit peut-être d’un sobriquet lié à la pratique de son instrument comme c’est le cas pour les chanteuses ; ce terme indique le
redoublement de quelque chose. Ce pourrait être le va-et-vient de la main sur la racle. Mais il ne s’agit ici que d’une hypothèse.
Une autre hypothèse pourrait être l'instrument connu en Thaïlande sous le nom de krap phuang (กรับพวง), une petite percussion à main constituée d'une liasse de lattes fines de bois dur et de laiton, attachées ensemble à une extrémité.
Un quatrième bas-relief vient renforcer notre thèse (à droite). Le musicien se tient debout. La baguette avec laquelle il gratte son instrument est courte et l’angle formé par les deux éléments est incompatible avec un jeu de vièle. Les deux protubérances en haut de l’instrument pourraient représenter des bruiteurs métalliques comme il en existe sur les racles contemporaines du Sud-Est asiatique.
Pour les sceptiques, nous ajoutons ci-dessous cette photo d'une chanteuse-joueuse de racle à Java Centre (IXe siècle) ! L'instrument semble réalisé dans une unique planchette de bois et les rainures sont ici parfaitement visibles.