MAJ : 3 décembre 2023
Dans sa thèse Quaking and clarity: Saṃvega and Pasāda in Cambodian Dharma songs soutenue en 2010, Trent Walker classifie les chants bouddhiques selon six styles : “J'identifie six styles dans lesquels les bouddhistes cambodgiens interprètent vocalement des textes. Les chants du Dharma utilisent le sixième style, le plus complexe, smūtr (couramment translittéré smot NDT). Les cinq autres styles diffèrent de diverses manières mais sont tous moins complexes en termes de mélodie et d'ornementation que le smūtr. Le premier est la simple lecture à haute voix (en khmer : ān). Le suivant est le bol, une forme à mi-chemin entre la lecture à haute voix et le chant. Sūtr se réfère au chant avec des mélodies d'une à quatre hauteurs distinctes. Me sūtr est une forme simple de récitation chantée avec des mélodies de quatre hauteurs distinctes ou plus, mais sans pulsation métrique stricte. Crieṅ, généralement traduit par “chant”, se distingue de tous les autres styles en ce qu'il suit une impulsion métrique stricte. Il diffère également de mesūtr par la longueur et la complexité des mélodies utilisées. Smūtr, en revanche, ne suit pas une pulsation métrique et utilise des mélodies et des ornements encore plus complexes que crieṅ ou mesūtr. Les six styles sont résumés dans le tableau ci-dessous, classés du moins complexe au plus complexe.” (notre traduction depuis l'original en anglais).
Style | Définition | Sous-styles | Mélodies | Variations | Langue(s) |
1. Ān អាន | Lecture à voix haute | N/A | N/A | N/A | Khmer, Pāḷi |
2. Bol | À mi-chemin entre ān et sūtr | Inconnu | Inconnu | Inconnu | Khmer |
3. Sūtr សូត្រ | Chant de mélodies de 1 à 4 hauteurs | 4 | Inconnu | Inconnu | Khmer, Pāḷi |
4. Mesūtr មេសូត្រ | Récitation chantée simple avec mélodies de 4 hauteurs ou plus sans impulsion métrique stricte | 12 | 12 | ~24 | Khmer |
5. Crieṅ ច្រៀង | Id. mesūtr ou smūtr mais avec impulsion métrique stricte | 1 | 2 | 2 | Khmer |
6. Smūtr ស្មូត | Id. mesūtr ou sūtr mais mélodies plus longues et plus complexes | 8 | ~60 | ~150 | Khmer, Pāḷi |
Selon Trent Walker : “le style smūtr englobe la récitation chantée de mélodies longues, lentes, complexes et très ornées sans impulsion métrique stricte. Les “mélodies complexes” des chants du Dharma sont utilisées pour interpréter des textes bouddhistes dans le style smūtr, y compris des vers métriques, des vers libres et des textes en prose. Les sous-styles et les mélodies sont liés au type de texte.” (notre traduction depuis l'original en anglais).
Le smot est chanté dans diverses circonstances au cours desquelles Sounds of Angkor a pu réaliser des enregistrements : funérailles ពិធីបុណ្យសព, fête des morts pchum ben ភ្ជុំបិណ្ឌ, fête de kathina កឋិន, rappel des pralung (hao prɔ.lɔŋ ហៅព្រលឹង). Il est chanté tant par les hommes que par les femmes (en dehors du temple bouddhique). Selon Trent Walker, le smot se serait développé dès le XVIe s. (communication personnelle).
Dans ce smot, le chanteur (Choeum Dieng) se substitue aux enfants du défunt pour clamer leurs regrets de voir partir trop tôt leur père. Il chante ici en situation funéraire, dans la maison d'une famille d'agriculteurs de la région de Kampot. La traduction anglaise est disponible en sous-titrage.
Daok Dom ដោក ដុំ est un célèbre chanteur de smot établi à Phnom Penh. Il est considéré comme l'un des meilleurs du Cambodge.
Il chante ici lors des funérailles de Madame Mang Chuob ម៉ង់ ជួប, mère du Vénérable du Vat Preah Prom Rat វត្តព្រះព្រហ្មរតន៍, Siem Reap, le 10/12/2017.
Ce texte évoque les Trois Caractéristiques de l’Existence, en pāli : dukkhaṃ, aniccaṃ, anattā.
Dukkhaṃ : souffrance. Puisque tout est sujet au changement continu et à la détérioration, se raccrocher à des choses ou des états impermanents ne peut que permettre à dukkhaṃ de se développer d’une façon ou d’une autre à un degré ou un autre.
Aniccaṃ : impermanence. Le Bouddha a enseigné que toute chose est sujette à la Loi de la Cause et de l’Effet : tout ce qui commence à exister doit éventuellement cesser d’exister. Toute chose est due à la création de causes précédentes et en retour est la cause d’effets postérieurs. Tout existe de façon temporaire et il n’existe rien qui ait une quelconque permanence.
Anattā : le non-soi. Le Bouddha a enseigné que puisque toutes les choses sont impermanentes, il ne peut y avoir d’entité permanente, constante ou immortelle que l’on pourrait appeler soi ou âme. C’est la croyance illusoire dans un soi permanent qui cause l’attachement et l’envie, et ce sont eux qui conduisent vers dukkhaṃ.
RŪPAṂ DUKKHAṂ
O pain, great pain
Beyond measure
Small pain, great pain
Pain boils within
Without relief
Pain leads to death.
ANICCAṂ not long-
Lasting at all
Soon dead, just our
Foul corpse remains
The flesh and bones
And sinews rot
Back into earth.
ANATTĀ no thing
No form, no name
No perceiver
No fame, no friends
No great splendor
No sense organs
No wealth either.
So reflect well
Care for your heart
If mad, calm down
Make your heart soft
Like mother and child
If mad, calm down
Let it all go.
Traduction française (P. Kersalé)
RŪPAṂ DUKKHAṂ
Ô souffrance, grande souffrance
Au-delà de toute mesure
Petite douleur, grande douleur
La douleur grandit au dedans
Sans recours
La douleur mène à la mort.
ANICCAṂ
Impermanence
Bientôt la mort, juste la nôtre
Demeure un cadavre
De la chair et des os
Les tendons pourrissent
Retournent à la terre.
ANATTĀ non-soi
Ni forme, ni nom
Ni perception
Ni gloire, ni amis
Ni grande splendeur
Ni organe sensoriel
Ni richesse non plus.
Alors, réfléchissez bien
Prenez soin de votre cœur
Si la colère grandit, calmez-vous
Pacifiez-votre cœur
Comme la mère et l'enfant
Si la colère grandit, calmez-vous
Lâchez prise.
Daok Dom ដោក ដុំ interprète ici (25/10/2020) lors des funérailles d'un moine de haut rang du Vat Bakong, un monastère établi sur le site archéologique éponyme.
Le moine chante avec une voix de poitrine, grave, moyennement tendue, vibrante, calme, mélismatique. Le mélisme est une broderie sur une voyelle choisie ; le ton monte et descend vers des fréquences adjacentes pour former une arabesque sonore. Quant aux vibratos, ils sont profonds, forcés, relativement rapides.
Nous publions ici la traduction de l'intégralité de la partie en prose du chant du “rappel des pralung” chantée en smot par le moine du Vat Trach. Pour en savoir plus sur le rappel des pralung, cliquez ici.
“Om srūp mahā srūp, le Maître me charge de vous arracher des sommets des montagnes, ô petits pralung.
Le Maître me charge de vous attirer, ô grands pralung réfugiés dans les grands arbres.
Le Maître me charge de vous arracher des mains des esprits arakh.
Le Maître me charge de vous extraire des forêts.
Le Maître me charge de vous extirper des mains des esprits arakh et des sorciers dhmap.
Le Maître me charge de vous attirer, ô pralung enfouis sous les rochers.
Le Maître me charge de vous attirer, ô pralung enterrés sous les chemins des khmoc.
Le Maître me charge de vous attirer, ô pralung emprisonnés dans les nouvelles marmites-à-riz.
Le Maître me charge de vous attirer, ô pralung cachés aux bords des rivières et des étangs.
Le Maître me charge de vous attirer, ô pralung confiés aux esprits arakh dans les buttes, les villages, les crevasses et les rochers.
Le Maître me charge de vous attirer, ô pralung enfouis dans les trous de grenouilles et de crabes.
Le Maître me charge de vous poursuivre et de vous attirer, ô pralung, des eaux et des océans.
Voici pourquoi mes mantras sacrés et efficaces vous attirent de ce corps, ô vous les dix-neuf pralung indolents confiés aux arakh de divers lieux, enlevés pour garder villages et rizières.
Le Maître me charge de vous extirper des mufles des bœufs et des buffles, des bouches des poissons et des gueules des fauves, des becs des rapaces, des hiboux, des chouettes et des effraies.
Le Maître me charge de vous extirper de ce malade, ô pralung.
Om siddhi svahah, écoutez mes commandements, moi qui suis le maître.”*
*D'après la traduction d’Ashley Thompson.