MAJ : 3 décembre 2023
Il existe deux xylophones chez les Khmers : roneat ek រនាតឯក (également translittéré roneat aek) et roneat thung (roneat thong). Le roneat ek est aussi dénommé, mais plus rarement, roneat rut.
Chaque roneat est constitué d'une caisse de résonance naviforme en bois sur laquelle sont suspendues des lames de bois noir ou rouge (kranhung, beng, neang nuon) ou de bambou (russey ឬស្សី) au nombre de 21 pour roneat ek et 16 pour le roneat thung. Le premier repose sur un pied central tandis que le second en possède quatre disposés au quatre angles. Les lames sont disposées dans un plan longeant la courbe de la caisse de résonance, deux cordelettes reliant chacune d'elles en passant par deux trous latéraux. Ces orifices se situent à 2/9 de la longueur totale en partant des extrémités, ce qui correspond aux nœuds de vibration des lames. Lors de la fabrication, les lames sont accordées :
1. En ôtant de la matière au-dessous, entre les deux nœuds de vibration et aux extrémités,
2. En déposant de la cire d'abeilles mélangée à de la grenaille de plomb à chaque extrémité inférieure. Les musiciens eux-mêmes réalisent cette dernière opération lorsqu'ils doivent adapter leur instrument à un nouvel ensemble ou le ré-accorder car la cire sèche et se désagrège, ce qui modifie l'accord.
Les deux pièces de bois (khawals, khaols) aux extrémités de la caisse de résonance du roneat ek sont de forme triangulaire ; celles du roneat thung plutôt en arc de cercle.
La caisse de résonance naviforme est soit brute et vernie, soit décorée : peinture de motif floraux au pochoir, sculpture ou incrustation d'os (autrefois d'ivoire).
Dans l'orchestre pin peat, le roneat ek est toujours placé à droite du roneat thung.
De nombreuses croyances et affirmations non documentées inondent la littérature à la fois grand-public et scientifique. Aussi nous ne nous exprimerons pas à ce sujet. En revanche, suite à nos propres recherches, nous pouvons avancer : les premières images connues d'un xylophone au Cambodge se trouvent sur deux fresques du XVIe siècle, (date provisoire en attendant une expertise scientifique), dans le sanctuaire central d'Angkor Vat (bakan). Ils prennent place à côté d'autres instruments aujourd'hui encore connus dans l'ensemble pin peat. Il est toutefois probable que des xylophones en bambou ou en bois, mais sans caisse de résonance, existassent dans le passé. Les minorités ethniques des confins frontaliers du Cambodge, du Vietnam et du Laos en possèdent. Nous connaissons les lithophones multilames découverts au Vietnam et datant d'époques très anciennes (sans datation précise pour l'heure). Il semble difficile d'imaginer que les hommes aient inventer des instruments aussi magnifiques et complexes sans être au préalable passés par une version en bambou et/ou en bois.
Les plus anciennes photographies de roneat ont été prises par le photographe français Émile Gsell au Palais royal de Phnom Penh vers 1866-70.
Constatons simplement que de tels xylophones, organisés par couple, sont également joués au Myanmar, en Thaïlande et au Laos. Ils se différentient visuellement de la même manière, avec des montants similaires, attestant d'une origine commune.
La tessiture du roneat ek est de 21 lames / 7 notes par octave = 3 octaves et celle du roneat thung de 16 lames / 7 notes = 2 octaves et une seconde. L'accord dépend de la génération du musicien, de la région du Cambodge et de la nature de l'orchestre. Autrefois, il était équiheptatonique, mais il s'est diatonisé sous l'influence, tout d'abord du Protectorat français, puis de la diffusion massive de musique occidentale diatonique et chromatique dans les médias.
Ces deux instruments sont utilisés dans les orchestres pin peat et mahori. Lorsque le pin peat est au complet, on trouve les deux xylophones : roneat ek et roneat thung ; dans le cas contraire, uniquement le roneat ek. Du point de vue de la tradition, le premier est considéré comme la voix féminine et le second comme la voix masculine, ce qui, du point de vue de la symbolique khmère, est un non-sens. En effet, dans un couple khmer marié (si ces deux roneat sont considérés comme tels), la femme est toujours placée à la gauche de son époux, une tradition déjà visible sur les bas-reliefs de la période du Bayon (fin XIIe - début XIII s.). Ceci tend à prouver, s'il en était utile, que l'ensemble pin peat n'est pas d'origine khmère ! Dans les ensembles de gongs des minorités ethniques, dont certaines proto-khmères, le plus grand gong — la voix la plus grave de l'ensemble — est toujours nommé “mère” et le second — avec la voix un plus haute —, “père”.
Les lames sont martelées avec une paire de mailloches dont les têtes cylindriques sont recouvertes d'étoffe ou de feutre. Sur le roneat ek, la mélodie est jouée la mélodie avec les maillets qui se suivent à l'octave. Le musicien du roneat thung joue quant à lui selon un jeu dissocié entre les deux mains. Dans l'orchestre, le roneat ek joue des variations de la mélodie, qui est généralement portée, selon le type d'ensemble, par un chanteur ou le joueur de hautbois sralai. Stylistiquement parlant, le roneat ek est joué essentiellement en octaves. Pour faciliter le jeu des débutants, on relie les deux mailloches entre elles par une ficelle selon une distance d'une octave, toutes les lames étant de même largeur.
Le roneat thung sonne une octave en-dessous du roneat ek.
Le 3 décembre 2017, plus de 5 000 moines vêtus d'orange furent invités par le Gouvernement royal du Cambodge pour une cérémonie d'offrandes pour la paix à Angkor Vat. L'ensemble pin peat du Palais Royal joue de la musique traditionnelle pendant que les fidèles font des offrandes aux moines. On remarquera les armoiries de la royauté khmère et les décors floraux incrustés sur la caisse de résonance des deux roneat. Le roneat thung se tient, de manière canonique, à gauche du roneat ek.
L'ensemble pin peat et le roneat en particulier sont source d'inspiration pour la décoration des bâtiments des monastères bouddhiques. Nous en offrons ici quelques exemples.