MAJ : 3 décembre 2023
La cithare monocorde sur bâton à résonateur unique est appelée : kse diev ខ្សែដៀវ (prononcé ksaê dyou) ou khse muoy ខ្សែមួយ, c'est-à-dire “une corde”. Le terme kse est aussi translittéré ksae ou khsae.
La première iconographie du Cambodge remonte au VIIe siècle, à Sambor Prei Kuk. Sa pratique avait presque disparu après le génocide des Khmers rouges dans les années 1970. Mais grâce à la ténacité de feu Maître Sok Duch et l'aide de Cambodian Living Art, plusieurs musiciens de la jeune génération en assurent désormais la pérennité.
Avant la révolution, le kse diev était joué dans l'orchestre de mariage (plenh kar boran), dans l'orchestre arak (phleng arak) et parfois aussi par les chanteurs aveugles pour accompagner leur chant. Cette dernière utilisation est peut-être le secret de sa longévité.
On trouvera un état des lieux de l'usage du kse diev dans les années 1960, dans notre chapitre consacré à l'orchestre de mariage ancien phleng kar boran.
Le kse diev est composé d'un manche tourné en bois de neang nuon ou kranhung. L'extrémité (bangkien), en forme de nāga, est sculptée dans de la corne de buffle, du bois ou (autrefois) de l'ivoire. Elle est fixée au manche au moyen d'un tube métallique. Sur cette tête de nāga vient se fixer la corde en laiton. L'autre extrémité du manche est percée d'un trou dans lequel s'engage une cheville (pranuot ព្រលួត) avec laquelle le musicien contrôle la tension de la corde et, par conséquent, la hauteur de la note fondamentale.
L'instrument mesure entre 80 et 88 cm. L'ensemble est calculé à partir de la longueur totale du bras du musicien s'il le fabrique lui-même (de l'épaule au bout du doigt), plus la longueur d'une main, du poignet à l'extrémité du pouce levé, de sorte que la courbure du bangkien suit celle du pouce. S'il s'agit d'une commande extérieure, le fabricant adapte la longueur à la taille de son client. Le manche est en trois parties : un corps de 65 cm en bois, un tube de cuivre ou de laiton de 9,5 cm qui s'adapte au manche sur une profondeur de 4 cm, enfin le bangkien de 18 cm dont environ 4 cm s'enfonce dans le tube métallique de raccordement. La cheville, d'une seule pièce, est façonnée au tour. Une demi-calebasse (khlok ឃ្លោក) est attachée au manche par une ficelle en Nylon (anciennement en rotin) passant par le col de la calebasse et fixée à une rondelle en coque de noix de coco. Cette grande rondelle maintient le Nylon à l'intérieur de la calebasse. Une fois “vissée”, elle serre la calebasse au manche, provoquant une tension sur le Nylon. La calebasse est fixée sur le manche de l'instrument à un empan de la cheville. D'autres musiciens mesurent l'emplacement de la calebasse en comptant une coudée plus une main, plus un pouce du bangkien.
La corde en laiton achetée dans le commerce ; les musiciens l'amincissent par étirements successifs afin d'obtenir le diamètre désiré. Elle est attachée au bangkien d'une part, à la cheville d'autre part, et passe sous le fil de maintien de la calebasse. La partie vibrante de la corde est celle qui va du bangkien au point de fixation du résonateur.
Pour le jeu, la calebasse est placée contre la poitrine. Le manche est en position oblique par rapport au corps, la cheville étant, pour les musiciens droitiers, à la hauteur de l'épaule gauche.
La technique de jeu est difficile. Les doigts de la main gauche (index, majeur et annulaire) appuient sur quatre points de la corde, près du point de fixation de la calebasse, pour faire varier la longueur vibrante de la corde. La mise en vibration est produite par un pincement en plusieurs points précis de la corde avec un onglet métallique ou de corne fixé à l'annulaire droit. La hauteur des degrés est donnée par un léger toucher de l'index droit qui effleure la corde en même temps que l'onglet. L'artiste peut jouer une octave et demie (12 notes), parfois deux octaves s'il est vraiment un virtuose.
Dans l'orchestre, la corde à vide est généralement accordée selon la note samleng ko du hautbois.
En plaçant la calebasse plus ou moins près sur sa poitrine, le musicien peut entendre avec plus ou moins de puissance les harmoniques sur lesquelles il joue.
“Jouer le kse diev” se dit “denh kse diev” en khmer, soit littéralement = pincer le monocorde.
Cet article est une actualisation par Patrick Kersalé de l'article "L'orchestre de mariage cambodgien et ses instruments" écrit en 1968 par Jacques Brunet. Dans : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême- Orient. Tome 66, 1979. pp. 203-254.
Feu Maître Sok Dutch jouant la première position avec la main droite pour obtenir le premier partiel.
L'onglet pince la corde.
Deuxième position de jeu de la main gauche. La première est jouée par l'index.
Calebasses sous une tonnelle. Pour obtenir de beaux spécimens, ils ne doivent pas toucher le sol pendant leur croissance.
Feu Maître Sok Dutch jouant la deuxième position avec la main droite pour obtenir le second partiel.
Position de l'annulaire après avoir pincé la corde.
Troisième position de la main gauche.
Calebasse mature. Une forme parfaite est recherchée par les fabricants et les musiciens.
Sinat Nhok a été un élève de Maître Sok Dutch. Il est l'un des meilleurs joueurs de kse diev de la jeune génération. Ici, il joue la pièce intitulée Sompong.
Lun Sophanet joue la pièce intitulée Khmao Bong, “Ma Chérie”.
> Jeffrey M. Dyer. A View from Cambodia: Reorienting the Monochord Zither