L’ethnomusicologue et archéomusicologue français Patrick Kersalé sillonne l’Asie depuis plus de 30 ans, à la recherche des instruments et des musiques anciennes. En 2012, il entreprend d'étudier et de reconstituer les instruments de musique anciens du Cambodge, entre le VIIe et le XVIe s. : harpes, cithares, cymbales, tambours, trompes, conques et hautbois ont ainsi été ramené à la vie !
Ce film de 2012 est un état des lieux du moment. Nous sommes aujourd'hui en 2022 et le projet continue son développement.
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1998-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 13 octobre 2024.
SOMMAIRE
L’histoire de ma passion pour les instruments de musique ancienne prend forme en 1984 à Paris tandis que je joue de la flûte de Pan roumaine nai. Elle débute avec la rencontre du musicothérapeute Patrice Barret qui vient de terminer son mémoire sur les flûtes de Pan du monde. Son document me fascine et je décide d'approfondir le sujet. Je travaille à l’époque sur l'avenue des Champs-Elysées à Paris, non loin du Musée de l’Homme. C’est l’époque du Minitel, Internet est inexistant. À l'heure du déjeuner, au lieu d’aller à la cantine, direction la bibliothèque du Musée de l’Homme pour effectuer des recherches sur les flûtes de Pan. Parallèlement, commence une recherche sur la collection de flûtes de Pan du laboratoire CNRS d'ethnomusicologie, puis un travail de fac-similés, constituant ainsi une collection unique au monde qui sera exposée durant plusieurs mois à la station RER de Châtelet - les Halles à Paris.
En 1991, je pars en Indonésie, puis au cœur de la forêt primaire en Centrafrique, chez les Pygmées Aka. L’histoire se poursuit parallèlement en Afrique occidentale, en Asie du Sud-Est, notamment au nord du Vietnam, pour des collecter les musiques des minorités ethniques, les danses de possession des Kinh ou encore le chant des chanteuses professionnelles ca trù qui sera Inscrit en 2009 par l’UNESCO sur la Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente.
En février 1998, j'effectue mon premier voyage à Angkor. Je prends alors la mesure de la richesse de l'iconographie musicale. Parallèlement, je développe un important projet pédagogique autour des musiques du monde pour l’Éducation nationale en France avec les Éditions Lugdivine qui durera dix ans.
En 2006, je pars pour un voyage de six mois en Asie pour filmer en Haute Définition les musiques enregistrées au cours des années précédentes. En août 2012, je m’installe à Phnom Penh en famille ; c’est là que commence l'étude et la reconstitution de l’instrumentarium musical des Khmers anciens. En 2022, je suis toujours au Cambodge…
Le projet de reconstitution des instruments de musique des Khmers anciens repose sur une expérience de terrain acquise depuis le début des années 1990. Au début, comme tout bon chercheur, je compulse ouvrages et articles liés à la vie des Khmers anciens et les instruments angkoriens. Je constate malheureusement qu'aucune littérature archéomusicologique n'est fiable car aucun véritable musicologue n'a travaillé sur le sujet. Il y a pourtant quelques éminents personnages parmi les auteurs scientifiques, mais la musicologie est truffée de pièges. Je décide alors de repartir à la source, à savoir l’iconographie des temples (bas-reliefs, hauts-reliefs, fresques), les textes en sanskrit, en khmer ancien et en chinois, les objets issus des fouilles.
Cette recherche, ce sont des centaines d’heures passées dans les temples à travers tout le Cambodge, mais aussi des dizaines d'heures dans les bibliothèques à regarder les photographies de l’iconographie ancienne. C’est également un travail de comparaison de l’iconographie khmère du VIIe au XVIe siècle, de la sculpture chame du Vietnam puisque les Chams sont un peuple hindouisé partageant autrefois les mêmes instruments de musique que les Khmers. C’est également un croisement des sources khmères et chames avec l’iconographie indienne et javanaise, ou encore la confrontation de l’iconographie avec les instruments qui se sont diffusés sur les routes de l'expansion de l’hindouisme et du bouddhisme.
Si l'objectif était de reconstituer chaque instrument, il était également de redonner vie aux orchestres afin d'en saisir la cohérence et la complexité acoustique.
Mais ce projet va bien au-delà de la seule reconstitution des instruments des Khmers anciens puisque les instruments des Chams indianisés/hindouisés (Vietnam, iconographie disponible entre le VIIIe et le Xe s.) et des Javanais indianisés/bouddhisés de l'époque de Borobudur (IXe s.) sont similaires. Ainsi, toute reconstitution réalisée pour les Khmers s'applique pour ces deux autres cultures. Nous convenons qu'il existait certainement des différenciations locales, mais la statuaire ne présente aucun détail pertinent pour en juger. Ce projet m'amènera à voyager dans plusieurs pays d'Asie : Cambodge, Vietnam, Laos, Thaïlande, Myanmar, Népal, Inde, Singapour, Japon, France afin d'y rencontrer des luthiers, des musiciens, de comprendre les pratiques musicales anciennes, les faits religieux et de visiter des musées.
1991 - 2012
1998
2009 - 2020
2012 - 2020
2016 - 2022
Dès 2012, “Sounds of Angkor” s'impose dans le paysage culturel cambodgien, notamment avec sa première exposition à l'Institut Français du Cambodge (Phnom Penh), visitée par la cour royale du Cambodge, de nombreux chercheurs et officiels du gouvernement, par des centaines de Cambodgiens fiers de retrouver un pan de leur culture disparue et même par le Directeur de la Communication du Premier Ministre indien Manmohan Singh. Dans ce cheminement intellectuel, la reconstitution des instruments de musiques visibles — ou non — sur les bas-reliefs s’impose comme une évidence. La presque totalité des instruments représentés entre le VIIe et le XIIIe siècle sont d’origine indienne, même s’ils ont été peu à peu khmérisés. Notre mission a consisté à faire des “propositions de reconstitution”, sachant que nous ne disposons, pour les instruments en matière organique, d'aucun objet réel et que notre connaissance est principalement issue de l'iconographie des temples khmers anciens et de l'ethnographie contemporaine.
Sur le plan technique, nous avons rencontré peu de contraintes si ce n'est la disponibilité de certains matériaux et le cadre légal entourant quelques-uns d'entre eux. Les essences de bois couramment utilisées dans la facture des instruments traditionnels khmers ont été trouvées aisément. En revanche, certains matériaux d'origine animales ont fait défaut. Nous ignorons la nature exacte de tous les matériaux utilisés autrefois, mais nous savons par l'ethnographie et certains instruments anciens conservés dans des musées, que des peaux de cervidés étaient utilisées pour les membranes des tambours ou que l'ivoire d'éléphant entrait dans la fabrication de certains cordophones.
Compte tenu du faible niveau de détails de l'iconographie khmère, nous avons, dans la première phase du projet, restreint le décor des instruments aux frises de fleurs de lotus bordant la peau des grands tambours et visibles sur certains reliefs. Lorsque nous avons utilisé de la laque ou de la feuille d'or, c'était uniquement dans un geste artistique moderne, délibéré et assumé.
Nous nous sommes autorisés à utiliser des machines électriques afin d'accélérer les processus de fabrication : tronçonneuse, scies à ruban et circulaire, tour à bois, perceuses, ponceuses… Nous nous sommes bien entendu posé la question des outils utilisés à l'époque angkorienne. Rares sont les bas-reliefs montrant des outils. On retiendra, pour l'essentiel, la hache et le coupe-coupe pour le travail du bois. Nous savons en revanche, en observant les traces laissées dans la pierre et les réalisations angkoriennes, que les Khmers anciens possédaient les mêmes outils traditionnels que les sculpteurs sur bois contemporains. Ils connaissaient notamment le tour à pied ou à main. L'ethnographie contemporaine en offre encore quelques exemplaires.
Durant ce temps de recherche, nous avons lié des partenariats informels avec de nombreux partenaires. Liste exhaustive en cliquant ici.
Nous ne savons rien d’une éventuelle approche classificatoire des instruments de musique angkoriens si ce n'est la stèle sanskrite de Vat Prah Einkosei* (début XIe s.) mentionnant plusieurs noms d'instruments classés par typologie, (à quelques rares exceptions dans le but de conserver la poétique du sanskrit). Dans un chapitre du Nātya-shāstra, les instruments de musique sont classés en quatre catégories selon des paramètres morphologiques qui sous-tendent leur mode de production sonore : tata vādya, shūsirā vādya, avanaddha vādya, ghana vādya.
Ci-après la liste des instruments reconstitués selon cette classification, assortis de leur nom lorsqu'il est connu et de la date de l'iconographie, entre parenthèses.
Abréviations pour la datation du nom : Kh.IXe / Vieux khmer du IXe s. ; p.a. (pré-angkorien) / Khmer préangkorien ; Sk. / Sanskrit.
*(Cœdès G. 1952 – K. 263, IC IV, p.124, VIII)
Cithare sur bâton mono-monocorde - kañjaṅ, kañjoṅ p.a. - (VIIe s.)
Cithare sur bâton monocorde à double résonateur - vīṇā Sk. ; kinnara Kh.IX-XIe - (XIIe-XIIIe s.)
Harpe arquée préangkorienne - viṇā p.a. - (VIIe s.)
Harpe arquée angkorienne - viṇā p.a. - (XIIe-XIIIe s.)
Harpe arquée angkorienne à tête de Garuda - viṇā p.a. - (XIIe-XIIIe s.)
Luth - trisarī Kh.IXe - (IXe s.)
shūsirā vādya
Conque blanche - śaṅkha Sk. Kh.IX-XIIe - (XIIe-XIIIe s.)
Conque avec monture - śaṅkha Sk. Kh.IX-XIIe - (début XIIe s.)
Conque en terre cuite - śaṅkha Sk. Kh.IX-XIIe - (angkorien)
Corne (ou olifant) (corne de buffle)
Flûte à embouchure terminale - kluy Kh.Xe - (XIIe, XVIe s.)
Flûte traversière - veṇu p.a. - (VIIe s.)
Hautbois avec pirouette en calebasse - (XIIe, XVIe s.)
Trompe en bambou - (XIIe-XIIIe s.)
Trompe métallique (petite) - tūrya, tūryya Kh.Xe - (XIIe s.)
Trompe métallique (grande) - tūrya, tūryya Kh.Xe - (XIIe s.)
Tambour cylindrique - (XIIe s.)
Tambour en gobelet en terre cuite - (XIIe-XIIIe s.)
Tambour en gobelet en bois - (XIIe-XIIIe s.)
Tambour en sablier simple - thimila Sk. - (VIIe s.)
Tambour en sablier avec portant à embouts en forme de nāga et grelottière - thimila Sk. - (XIIe-XIIIe s.)
Tambour en tonneau - (VIIe s.)
Tambour en tonnelet (oblong) - (XIe s.)
Tambour en tonneau avec support - (XVIe s.)
Tambour-hochet - ḍamaru, ḍamarin Sk. - (angkorien)
Arbre à cloches - (XIIe-XIIIe s.)
Cloche d’éléphant - ghaṇṭā Sk. - (XIIe-XIIIe s.)
Clochette à vajra - ghaṇṭā Sk. - (XIIe s.)
Collier équin de grelots - (XIIe-XIIIe s.)
Cymbales - cheṇ Kh.Xe - (XIe-XIIIe s.)
Cymbalettes - cheṇ Kh.Xe - (VIIe-XVIe s.)
Gongs à mamelon (couple) - (XVIe s.)
Grelot d’éléphant - (XIe-XIIIe s.)
Racle - (XIIe-XIIIe s.)
Les cithares ont une grande importance dans la musique à cordes des orchestres khmers préangkoriens et angkoriens. L'iconographie et l'épigraphie apportent peu de connaissances sur leur facture. Un instrument dénommé śikharā apparaît dans les inscriptions de Lolei (IXe s.) ; il pourrait s'agit d'une cithare, mais aucune iconographie la représente. Aucune reconstitution n'est donc proposée.
La cithare sur bâton mono-résonateur est attestée dès le VIIe siècle sur trois sculptures : un linteau de Sambor Prei Kuk conservé au Musée National du Cambodge, un haut-relief du Phnom Chisor (XIe s.) et un bas-relief de la troisième enceinte, galerie nord, aile est, d'Angkor Vat (XVIe s.). Elle est également représentée à Borobudur (IXe s.). La sculpture est bien entendu muette quant aux matériaux. L’inscription du Prasat Komphus (fin VIIe s.) nous enseigne que le temple a reçu neuf cithares faites d’un métal en alliage de cuivre et une autre avec un revêtement d’or. Compte tenu du peu de précision de l'iconographie et de l'épigraphie anciennes, nous nous sommes conformés à ce que nous connaissons le mieux, la cithare monocorde khmère kse diev en la dépouillant des apports technologiques du XXIe s.
Pour le manche, nous avons utilisé un bois précieux appelé kranhung (ក្រញុង), du genre Dalbergia, l'essence la plus dense et la plus précieuse du Cambodge.
Les résonateurs sont de deux natures : la calebasse, seule à être utilisée au Cambodge, et la noix de coco, privilégiée en Thaïlande. La calebasse, du genre Lagenaria, est une plante rampante herbacée de la famille des Curcurbitacées. Des informations publiées par l'ethnomusicologue français Jacques Brunet dans le années 1960 rapportent qu'elle poussait naturellement dans la forêt des Cardamomes (ជួរ ភ្នំក្រវាញ, Chuor Phnom Krâvanh).
Il en existe diverses formes mais ce sont probablement les fruits piriformes qui composaient le ou les résonateurs des cithares. Si l’on se réfère aux pratiques actuelles, les calebasses sont séchées, coupées à dimension, évidées, parfois décorées par gravure avant d'être fixées au manche. Dans le cadre de notre programme de reconstitution, que ce soit pour cet instrument ou pour la cithare sur bâton monocorde à double résonateur (ci-après) nous avons dû faire face à un défi : s'approvisionner en calebasses. Cette cucurbitacée n'est plus cultivée au Cambodge que par les fabricants de cithare kse diev et chacun garde comme un trésor ses plantations et leurs fruits. Quelques rares paysans la cultivent pour la consommer. Pour un usage en lutherie, il convenait d'en cultiver un grand nombre dans l'espoir d'en recueillir quelques-unes de bonne taille, de belle forme et d'une épaisseur idéale. À Siem Reap, Thean Nga et son père ont créé une tonnelle sur laquelle ils ont fait grimper les tiges de calebasses afin que les fruits ne touchent pas le sol. Grâce à leur minutie, de beaux spécimens ont pu être récoltés.
Le matériau composant la corde nous est inconnu, mais si l’on se réfère à l’ethnologie, on en trouve en fibre végétale. On ne peut toutefois exclure l’utilisation du boyau et de la soie. Quant au métal, le matériau le plus approprié pour obtenir un son clair et puissant, nous ignorons s’il existait, aux époques anciennes, des cordes métalliques suffisamment fines pour sonner et assez résistantes pour supporter la tension. Nous avons effectué des tests avec des cordes de soie de différents diamètres sur une cithare contemporaine kse diev. Il n’y a pas plus de difficulté à générer des sons qu’avec une corde métallique, mais le son manque de clarté, de résonance et de puissance, ce qui nous incline à penser que les musiciens utilisaient des cordes en métal, peut-être en laiton, comme c’est le cas aujourd’hui encore au Cambodge.
Enseignements des reconstitutions
Aux XIIe-XIIIe siècles, toutes les cithares sont représentées avec deux résonateurs. Une seule occurrence parmi des dizaines (haut-relief du Bayon) montre une
corde unique. Il s'agit très certainement du même instrument que la cithare mono-résonateur auquel a été ajouté un résonateur, pour des raisons acoustiques et peut-être aussi
symboliques. Sur l'iconographie, la position de jeu des deux instruments est similaire.
Cette cithare était jouée par paire dans les temples, à la cour royale de Jayavarman VII et pour les divertissements ordinaires aux côtés des harpes, racles et cymbalettes.
Enseignements des reconstitutions : similaires à ceux décrits précédemment.
Dès 2012, nous décidons de reconstituer trois modèles de harpes arquées. À cette époque, nous ne connaissons rien de leur technologie. Nous partons alors au Myanmar où nous rencontrons un fabricant de harpes birmanes saùng-gauk စောင်းကောက် ainsi qu’une harpiste auprès de laquelle nous nous formons à la technique de jeu. Nous nous rendons également chez les Karen du Myanmar et de Thaïlande pour connaître leur technologie et découvrir la diversité des modèles, en totale opposition avec la harpe birmane aujourd'hui standardisée.
Fort de cette nouvelle expérience, nous établissons avec tâtonnement le plan de plusieurs harpes. Nous rencontrons alors un facteur d’instruments à Phnom Penh, Keo Sonan Kavei et Kranh Sela, à qui nous soumettons les plans. Nous commençons la fabrication en nous entraînant à copier deux modèles de harpes karen rapportées de notre voyage. À cette époque, ce luthier fabriquait des xylophones et des carillons de gongs pour les ensembles pin peat. Puis suivirent les premières reconstitutions de harpes préangkorienne (VIIe s.) et angkorienne (XIIe-XIIIe s.).
Pour en savoir plus, lire La véritable histoire de la renaissance de la harpe khmère.
Les plus anciennes représentations de harpes apparaissent au VIIe s. sur deux linteaux de Sambor Prei Kuk, aujourd'hui au Musée National du Cambodge. Une autre se trouve au Musée de Paksé, découverte sur le territoire laotien, autrefois en partie englobé dans l’Empire khmer. Pour la reconstitution, nous avons croisé ces trois sources avec celles du champa, de Borobudur (Java, IXe s.) et quelques sources indiennes, à l'exception de celle du linteau de Pawāyā dont nous n'avons eu connaissance qu'en 2018 ; nous avons alors eu le plaisir de constater que le modèle reconstitué était conforme à celui de Pawāyā !
Enseignements des reconstitutions
Des représentations de harpes angkoriennes se trouvent dans divers temples et lieux : Angkor Vat, Bayon, Banteay Chhmar, Banteay Samre, Mebon Occidental, Preah Pithu, Terrasse des Éléphants. La forme des instruments diffère selon les sculpteurs. Il n’y a pas de standard, à l’image des harpes des Karen du Myanmar et de Thaïlande pour lesquelles il existe autant de modèles que de musiciens. Toutes les harpes ont cependant en commun une caisse de résonance naviforme et un manche plus ou moins arqué.
Sous le règne du roi Jayavarman VII, — Période du Bayon, fin XIIe - début XIIIIe s. — la harpe, accompagnée d'autres instruments, anime la danse palatine et religieuse dans les temples. Elle disparaît probablement après la chute d'Angkor (1431-32). Quelques rares représentations dans les monastères bouddhiques, jusqu'en 1975, témoignent de sa permanence dans la mémoire des Khmers.
Enseignements des reconstitutions
Depuis le début du XIIe jusqu'au milieu du début XIIIe siècle (fin de l'iconographie angkorienne), le manche de certaines harpes est surmonté d'une tête de Garuda (Angkor Vat, Bayon, Terrasse des Éléphants, Banteay Chhmar, Porte ouest d'Angkor Thom). Dans l'hindouisme, Garuda est le véhicule de Vishnu et dans le bouddhisme, le gardien des enseignements du Bouddha. La harpe à tête de Garuda semble avoir été jouée pour le divertissement, en présence de bouffons, et pour accompagner les joutes chantées.
Les enseignements tirés de la reconstitution de la harpe à tête de Garuda sont les mêmes que pour la harpe angkorienne. L'apport de la tête de Garuda, sculptée dans une pièce de bois de jacquier, modifie la stabilité de l'instrument lorsqu'il ne possède qu'un pied frontal. Dans ce cas, les quatre pieds sont les bienvenus.
Le luth piriforme existait en Inde à l'époque Gupta. Quelques rares sculptures corroborent certaines représentations siamoises, chames et javanaises de l'époque de Borobudur. Nous présentons ici le linteau de Pawaya, visible au Gujari Mahal Archeological Museum. Il montre clairement, en bas à gauche, un luth à caisse de résonance piriforme.
Les instruments qui composent cet orchestre sont à rapprocher des listes d'instruments du temple de Lolei (IXe s.).
Aucun luth n’est représenté dans l’iconographie khmère bien que le terme préangkorien trisarī s’y réfère. Ce dernier est probablement un luth tricorde comme l’indique le préfixe du mot.
L'instrument ci-contre a été reconstruit en croisant plusieurs sources : épigraphie du Cambodge, iconographie du Champa, du Siam et du temple de Borobudur à Java (Indonésie).
Nous avons fait une proposition de reconstitution parce qu'il fallait bien avancer, quitte à se tromper. Beaucoup de questions demeurent sans réponse mais, par-delà les détails plastiques et esthétiques, l'une d'entre elles importe : le trisarī possédait-il des frettes ? Nous avons pris l'option de réaliser un instrument monoxyle sans frettes avec une table d'harmonie en peau de chèvre collée et clouée avec des clous de bambou. Les cordes sont en microfibres de Nylon, autrefois, peut-être en soie, en boyau ou en métal. L'extrémité du manche a été doté d'une volute, à l'instar de la harpe préangkorienne et de certains décors du IXe s. à Hariharalaya (groupe archéologique de Roluos). Les chevilles sont en bois rouge avec incrustation d'os, et le chevalet, en bambou.
La conque est un instrument à anche labiale réalisé à partir d'un gastéropode dont on a sectionné l'apex, ou son fac-similé en terre cuite. Sur les bas-reliefs du Bayon et d’Angkor Vat, les conques sont majoritairement vues dans des scènes de batailles, commémoratives ou fictives, celles des épopées du Reamker et du Mahābhārata, ainsi que dans des rituels brahmaniques. La sculpture ne permet pas d’en définir le matériau.
À notre connaissance, aucune conque à souffler angkorienne fabriquée à partir d'un gastéropode ne nous est parvenue, ce qui ne signifie aucunement qu'il n'en existât pas. En effet, au moins une conque à libation, fabriquée à partir d'un gastéropode incrusté dans une monture de bronze, a été retrouvée dans des fouilles archéologiques. En revanche, de nombreux exemplaires de conques en terre cuite ont été excavés.
À Angkor Vat et Banteay Samre, les conques sont représentées avec une sortie en forme de gueule de makara (मकर Sk.). Nous ignorons s'il s'agit d'une esthétique conventionnelle de la représentation graphique ou si la conque était véritablement munie d'une monture métallique, à la manière de celles des bouddhistes tibétains. Nous avons fait réalisé, par un artisan néwar de la vallée de Kathmandu (Népal), une paire de conques avec une monture en cuivre, bordurée de laiton. Nous avons également reconstitué une conque en terre cuite. Pour cela, il fallait, préalablement au travail de la terre, fabriquer le colimaçon interne du gastéropode. Nous l'avons réalisé en papier-mâché. Une fois le matériau sec, nous avons moulé la terre autour et mis l'objet dans un four à céramique. Le papier a été carbonisé et la terre a cuit sans dommage. Nous ignorons en revanche comment procédaient les Khmers anciens. Peut-être utilisaient-ils de la cire d'abeilles puisqu'ils connaissaient la technique de la fonte du bronze à la cire perdue.
Les cornes, ou olifants, sont difficilement identifiables parmi les trompes. Cependant, compte tenu de leur existence jusqu'au temps présent et leur large répartition dans le Sud-Est asiatique, nous avons fabriqué de tels objets à partir de cornes de buffle d'eau, seul matériau disponible et légal. Il est toutefois certain que des cornes de buffle sauvage et des défenses d'éléphants furent utilisées, ce que confirme l'ethnographie.
Il existe deux qualités de cornes de buffle : légères et lourdes, toutes proportions gardées. Les premières sont privilégiées car seule l'extrémité est remplie de matière.
Après avoir sectionné l'extrémité de la corne, le fabricant met au feu au moins deux à trois fers afin d'accélérer le processus. Il ouvre le conduit d'insufflation millimètre par millimètre. Puis l'embouchure est arrondie afin de permettre l'insufflation sans blesser les lèvres. La corne est ensuite nettoyée et polie avec du papier de verre. Autrefois, le polissage était peut-être réalisé avec de feuilles végétales sauvages aujourd'hui encore connues des populations forestières. Un modèle a été réalisé en adjoignant une bordure en cuivre à décor lotiforme.
Fabrication d'une corne en corne de buffle avec monture en cuivre.
Les représentations de flûtes sont rares chez les Khmers angkoriens. Seulement deux types ont été représentés : flûte traversière (à embouchure latérale) à l'époque préangkorienne, flûte à embouchure terminale à l'époque angkorienne (deux images seulement à Angkor Vat) et postangkorienne (XVIe siècle, troisième enceinte, galerie nord, aile est, d'Angkor Vat). Nous avons fabriqué la flûte traversière en bambou en nous référant aux modèles asiatiques.
Jusqu'en 2020, nous pensions que le hautbois apparaissait pour la première fois dans l'iconographie du XVIe siècle (bas-relief de troisième enceinte, galerie nord, aile est, d'Angkor Vat, et peinture du sanctuaire central de ce même temple). Or, le remontage récent du mur d'enceinte oriental du temple de Banteay Chhmar (fin XIIe - début XIIIe s.) vient jeter le trouble. Un hautbois apparaît auprès d'autres instruments martiaux, dont un carillon de tambours totalement inexistant dans les autres temples. À moins qu'il ne s'agisse pas de Khmers ? Peut-être des Birmans (?).
Pour reconstituer le hautbois, le fabricant a utilisé du bois de koki (Hopea odorata) pour le corps, une noix de coco pour la pirouette en forme de chauve-souris aux ailes déployées, de la feuille de palmier à sucre pour l'anche quadruple, et une feuille de cuivre enroulée pour relier l'anche au corps. Le corps est percé de sept trous de jeu équidistants.
Reconstitution d'un hautbois avec pirouette d'après les bas-reliefs postangkoriens de la troisième galerie nord, aile est, d'Angkor Vat. Chef de projet : P. Kersalé. Facteur : Sopheak Suon (Phnom Penh 2012).
Les trompes sont presque toujours présentes dans les orchestres martiaux dépeints à Angkor Vat, Bayon, Banteay Chhmar et quelques autres temples de moindre importance. Il n'est pas aisé de déterminer la nature (trompe ou corne), la forme et le matériau de l'instrument. Heureusement, certaines occurrences sont plus explicites.
Le bas-relief de la Grande Procession d’Angkor Vat (troisième enceinte, galerie sud, aile ouest), montre un orchestre de parade martiale composé de trompes, de conques, de tambours et de cymbales. Les trompes sont, à n’en point douter, en métal, cuivre ou bronze. Si les Khmers contemporains savent travailler ces métaux pour confectionner des boîtes et des bijoux, la fabrication des trompes ne s’improvise pas. C'est pourquoi, nous sommes exceptionnellement allés chercher des compétences en dehors du Cambodge.
Nous savions que les bouddhistes tibétains faisaient fabriquer avec succès leurs trompes et conques par les Néwars de la vallée de Kathmandu. Nous avons alors décidé alors d'y partir afin de trouver un fabricant qui accepterait de relever le défi d'une reconstitution de trompes angkoriennes. Nous lui avons fourni des plans à l'échelle 1. Nous avons passé commande de deux grandes trompes télescopiques en trois sections avec jonction et bordures en laiton, trois petites trompes en cuivre avec bagues décoratives en laiton et deux conques en provenance d'Inde achetées sur le marché local, rehaussées d'une monture en cuivre bordurée de laiton. Comme le délai de fabrication était de plusieurs mois, nous sommes rentrés au Cambodge. Trompes et conques nous ont été expédiées. Le résultat est excellent.
Un bas-relief Bayon (galerie extérieure est, aile sud), montre une trompe de forme énigmatique, constituée d’une juxtaposition de sphères de tailles croissantes ne correspondant à aucun modèle répertorié par ailleurs. Il semble s’agir d’une trompe en bambou de l’espèce Bambusa vulgaris Wamin. Comme pour tous les bambous, il faut couper le chaume à une époque précise de l'année et de l'immerger durant plusieurs mois dans l'eau, sinon le bambou se recroqueville. On peut aussi choisir, par facilité, un chaume séché naturellement sur pied. Comme cette espèce de bambou n'est pas naturellement creuse, il faut l'évider, ce qui rend l'objet d'autant plus précieux. Cette opération nécessite une journée de travail car le chaume est courbe ; il ne peut être percé que manuellement car, en plus de la contrainte de la courbe, la perce doit être conique. Comme l'intérieur est poreux, l'idéal est d'enduire l'intérieur de laque naturelle afin d'obtenir un son clair.
Les bas-reliefs d’Angkor Vat (début XIIe s.), du Bayon et, dans une moindre mesure de Banteay Chhmar (fin XIIe - début XIIIe s.), fourmillent de représentations d’orchestres martiaux montrant plusieurs typologies de tambours. Nous connaissons le nom de certains d'entre eux par les textes en sanskrit.
Des tambours cylindriques de diverses longueurs apparaissent sur les bas-reliefs, certains joués à mains nues, d'autres avec une main nue et une baguette, d'autres encore avec deux baguettes. À quelques exceptions près, seuls des textes en sanskrit offrent des listes de noms de tambours ; il est toutefois impossible rapprocher avec certitude ces textes de l'iconographie. Certains tambours courts semblent cylindriques. Toutefois, après reconstitution, leur rendement acoustique est nul. Nous avons alors opté pour le tambour en forme de sablier edakka cité dans les textes et persistant au sud de l'Inde.
Les tambours en gobelet possèdent une unique membrane lacée. Aujourd'hui, ils sont en bois mais autrefois, il étaient (aussi ?) fabriqués en argile. Cette technologie a aujourd'hui été abandonnée car trop fragile. Sur les bas-reliefs les tambours en gobelet n'apparaissent jamais en totalité car le pied de l'instrument est toujours dissimulé entre les cuisses du musicien.
Un tambour en forme de sablier, nommé timila dans les textes sanskrits, apparaît pour la première fois au VIIe s. sur deux linteaux de Sambor Prei Kuk, aujourd'hui au Musée National du Cambodge ; il est un composant de l'orchestre accompagnant la danse de Śiva. Dans ce cas, il est simplement tenu sous le bras. Quant le timila joue dans les orchestres martiaux, il est porté à l'épaule. À Angkor Vat, il est doté d'un support rigide représentant deux nāga pentacéphales montrant deux têtes, deux corps garnis de grelots et deux queues. Cet instrument a disparu au Cambodge mais persiste en Inde du sud.
Le tambour en sablier est réalisé en bois de jacquier, à l'instar de bon nombre d'instruments khmers. Pour sa fabrication, nous avons utilisé un tour électrique. Pour les liens, nous avons commandé des cordes de palmier de douze et quatorze mètres selon la taille des instruments. Le fabricant, qui avait un parfait savoir-faire pour des longueurs de l'ordre d'un mètre, n'était pas équipé pour réaliser de telles longueurs. Le résultat était parfait, mais il a dit ne jamais plus recommencer tant ses mains avaient saigné. La fibre de palmier est extrêmement rigide. Les deux cadres sur lesquels sont installés les peaux de chèvre (importées du Népal) ont été manufacturées en rotin à l'instar du support. Les têtes de nāga ont été réalisées en bronze selon la technique de la cire perdue. Quant aux queues des nāga, la corne de buffle nous a semblé le matériau idéal : forme préexistante, robustesse et flexibilité. Des liens de cuir ont très certainement été utilisés pour relier les deux membranes.
Le tambour en tonneau apparaît pour la première fois dans l'iconographie au VIIe siècle, sur le linteau du Vat Ang Khna de Sambor Prei Kuk, aujourd'hui au Musée National du Cambodge à Phnom Penh.
L'instrument du Vat Ang Khna a été reconstitué sur la base du tambour samphor, aujourd'hui encore utilisé dans l'ensemble pin peat, compte tenu du peu d'information apporté par le bas-relief et de l'absence de représentations similaires avant le milieu du XVIe s. (Angkor Vat, troisième enceinte, galerie nord, aile est). La reconstitution a été réalisée avec du bois de jacquier, de la peau de vache pour les membranes et la ligature. Le double tambour de Banteay Srei a été réalisé avec les mêmes matériaux.
Sur un linteau du temple de Banteay Srei (Xe s.), un tambourinaire anime la danse de Śiva à l’aide de deux tambours de tailles différentes, posés verticalement, avec une légère inclinaison. Les deux hauteurs sonores sont produites par deux éléments distincts alors que la technique de jeu des tambours permet généralement d'émettre au moins deux sons sur un même instrument.
Des instruments en bronze sont visibles sur les bas-reliefs des temples khmers : cymbales et cymbalettes, cloches et grelots d'éléphant, grelots équins et bovins, cloches à demi-vajra, arbres à cloche, tambours-hochets. Ce qui caractérise ces objets, c'est qu'ils ont été retrouvés lors de fouilles archéologiques ou fortuitement.
La sculpture angkorienne montre des arbres à cloches (ou carillons de cloches) comportant de deux à cinq éléments. Ces outils sonores sont portés à la main ou suspendus. De nombreuses cloches, isolées ou groupées, issues des fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites, viennent renforcer notre connaissance. C'est un des rares cas de l'archéomusicologie khmère où l'on ait simultanément une iconographie et des objets. Notre quête a consisté à les identifier et à les comparer à l'iconographie. Nous avons fait réaliser un moulage à partir d'une cloche authentique, puis le fondeur a réalisé les quatre autres dimensions. Nous les avons suspendues préalablement autour d'un lien en fibre de palmier jusqu'au jour où nous avons découvert deux cloches originales suspendues avec une chaîne en bronze. Nous avons alors changé pour en réaliser une copie. Ce mode de suspension est par ailleurs validé par l'ethnographie chinoise et japonaise.
Les chevaux de guerre étaient parés de majestueuses sonnailles. L’iconographie et l’archéologie nous en apportent de nombreux témoignages. Les grelottières équines sont constituées de grelots sphériques et/ou en forme de mangue, répartis sur une ou deux rangées. À la Terrasse des Éléphants, on distingue nettement, sur un haut-relief, une association de ces deux types de grelots.
Nous avons reconstitué cette grelottière grâce à la découverte, dans la collection du Vat Reach Bo de Siem Reap, d'un grelot en forme de mangue, si proche de la représentation de la Terrasse des Éléphants, qu'on le croirait tombé du haut-relief ! Quant au grelot sphérique avec ouverte en X, il appartient à la même collection, mais est plus courant. De nombreux exemplaires ont été retrouvés en fouilles. Pour notre reconstitution, nous avons moulé les deux originaux.
Cymbales et cymbalettes sont largement représentées dans l'iconographie et sont présentes dans toutes les formations orchestrales : martiales, palatines, religieuses, de divertissement et même pour accompagner le travail. Quelques objets de bronze originaux nous sont parvenus. Les cymbales, larges, ont essentiellement un usage martial. Les cymbalettes, plus petites, officient dans toutes les autres formations orchestrales. Les unes et les autres sont en bronze (alliage de cuivre, d'étain et/ou de plomb). Les cymbales semblent avoir été fabriquées par martèlement à partir d'une galette de bronze. Quant aux cymbalettes, elles étaient fondues à la cire perdue.
En 2012, nous avons trouvé, dans la banlieue de Phnom Penh, proche du secteur de l'aéroport, l'un des derniers artisans, fabricant de manière artisanale, des gongs bulbés pour les roneat. Il a accepté de réaliser, pour Sounds of Angkor, des cymbales par martèlement à partir d'une galette de bronze d'épaisseur similaire à celle des instruments angkoriens. Les images ci-contre rendent compte de l'ouvrage. Les galettes circulaires sont fabriquées sur place à partir de métaux de récupération. Les fondeurs khmers ne savent plus réaliser d'alliage de bronze.
Pour les cymbalettes, nous avons fait réaliser, à Siem Reap, un moule à partir d'un modèle original et fait couler le bronze selon la technique à la cire perdue.
Plusieurs tambours-hochets damaru ou damarin (XIIe-XIIIe s.) ont été retrouvés dans des fouilles. Ils appartiennent à des musées ou des collections privées. Certains ont fait l'objet de copies et, compte tenu du fait que peu de tambours-hochets ont été retrouvés dans des fouilles officielles, il n'est pas aisé de se faire une idée générale sur les modèles ayant réellement existé. Nous n'avons identifié qu'une seule occurrence de ce type d'objet parmi l'ensemble des bas-reliefs angkoriens, et sa qualité d'exécution ainsi que son état de conservation sont moyens.
Notre travail a donc consisté à identifier ces objets, à en faire des copies et, le cas échéant, de compléter les parties organiques détruites.
Nous avons reconstitué trois tambours damaru à partir de trois originaux dont l'authenticité est attestée, tous d'après photographie et mesures prises sur les originaux :
Au cours de nos recherches, le racle a été l'instrument le plus difficile à identifier, notamment du fait de fausses informations colportées par la littérature. Il existe toujours au Cambodge bien que peu utilisé. Nous proposons ci-contre une reconstruction qui combine une influence khmère et vietnamienne. Cette cliquette est constituée de deux planchettes articulées, l'une lisse, l'autre striée et d'une baguette pour racler les rainures. Rien dans les bas-reliefs n'atteste cette typologie mais il exista, jusqu'à une période récente, des claquettes permettant de marque le pas des danseuses. Nous y avons adjoint, comme au Vietnam, deux groupes pièces de monnaies chinoises percées qui apportent une sonorité métallique au moment où l'on entrechoque les deux planchettes.
Une fois les instruments reconstitués, nous avons souhaité tester leur cohérence acoustique. Il s'agit d'une étape fondamentale en archéomusicologie expérimentale. Pour cela, nous avons créé la troupe Sounds of Angkor, enseigné le jeu des instruments et pris des options pour un répertoire musical. Pour la musique des orchestres à cordes, nous avons impliqué le Département de la Musique du Ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge qui a fait un choix parmi les pièces musicales les plus anciennes.
L'orchestre présenté ci-après représente une danse de Shiva. Le linteau provient de Sambor Prei Kuk. Il est visible au Musée National du Cambodge à Phnom Penh.
Linteau du VIIe s. en grès rouge représentant une danse de Shiva. Sambor Prei Kuk. Musée National du Cambodge. De gauche à droite : chanteur (?), cithare monocorde sur bâton, cymbalettes, Shiva dansant, tambour en forme de sablier, personnage au rôle indéfini, harpe arquée, chanteur et/ou danseur (?).
Sounds of Angkor a réunit ici : une chanteuse, une cithare monocorde à résonateur en calebasse, une harpe arquée, des cymbalettes et un tambour en tonneau (qui existait également à cette époque (Voir linteau du Vat Ang Khna).
L'orchestre accompagnant le feu sacré (Angkor Vat, troisième enceinte, galerie sud, aile ouest) est, à de nombreux égards, le plus prestigieux à la fois dans sa représentation graphique et dans la qualité de reconstitution des détails instrumentaux. Cet ensemble a notamment servi à accueillir Sa Majesté le Roi Norodom Sihamoni en juin 2014 à Angkor Vat. Nous avons eu le privilège de pouvoir le faire sonner autour du sanctuaire central en présence de nombreux spectateurs et de la presse internationale.
De D à G. premier plan : deux danseurs (initialement cinq), tambour sur portant, petit tambour cylindrique frappé avec deux baguettes, tambour en sablier à tension
variable.
De D à G. arrière-plan : cymbales (invisibles mais le joueur est bien présent entre le joueur de petite trompe vu de face et le porteur de tambour antérieur), paire
de petites trompes, paire de conques, paire de grandes trompes à pavillon en gueule de makara. Angkor Vat, troisième enceinte, galerie sud, aile ouest.
Défilé Historique. XIIe s.
Les deux séquences ci-dessous présentent d'une part cet orchestre joué par la troupe Sounds of Angkor et d'autre part, sa mise en scène dans une réalisation 3D de Monash University (Sydney, Australie) réalisée avec la collaboration de Sounds of Angkor pour le son.
Ce projet a permis à plusieurs artisans cambodgiens de développer de nouveaux savoir-faire autour de matériaux traditionnels : bois de lutherie, bois précieux, corne, os, cuir, rotin, fibres végétales diverses, laque, feuille d'or, bronze fondu et martelé…
Nos artisans, cambodgiens et français, se situent dans diverses provinces du Cambodge : Ratanakiri, Phnom Penh, Kandal, Siem Reap. Depuis le début du projet, nous avons sollicité une vingtaine d'ateliers et d'artisans individuels.
En 2019, nous avons créé un Pôle d'Excellence combinant les savoir-faire d'artisans cambodgiens et français installés au Cambodge. Les ateliers sous direction française assuraient déjà le transfert de savoir-faire vers des artisans cambodgiens, notamment dans le domaine de la laque (naturelle et acrylique) et de la dorure à la feuille. L'objectif était de produire des instruments professionnels alliant qualités acoustiques et esthétiques, tout en permettant aux artisans des diverses disciplines de parfaire leurs compétences.