MAJ : 3 décembre 2023
Un lithophone est constitué d'une roche ou de morceaux de roche heurtés afin de produire des sons. C'est en quelque sorte l'ancêtre de la cloche !
Il existe divers types de lithophones : des roches inamovibles qui sonnent naturellement lorsqu'on les frappe, des pierres brutes ou taillées suspendues seules ou en carillon, juxtaposées au sol
ou sur un support…
Leur rôle est probablement aussi varié qu'il existe de types de pierres, du simple jeu enfantin au rituel le plus secret. Une chose est certaine : leur usage traditionnel se raréfie dans le
monde.
Le Musée National du Cambodge est dépositaires de deux pierres lithophoniques acquises en 1921. L'une est en parfait état (Ka1732, en haut)), l'autre brisée en trois parties (Ka1733) mais recollées. Elles ont fait l'objet d'une fiche d'inventaire dont voici quelques éléments pertinents pour la présente étude.
Louis Malleret est le premier à décrire la pierre non brisée in Ouvrages circulaires en terre dans /'Indochine méridionale» BEFEO Tome 59, fasc. 2, pages 428-429, planche 39 : “La roche pénétrée de filonnets, de veinules et parfois de vacuoles est noirâtre et semble de nature basaltique. Elle sonne remarquablement bien. Il est fort possible que cette lame ait fait partie d'un instrument lithophone composé de plusieurs pierres de ce type.”
En 2010, nous avons pu étudier succinctement ces deux pierres et les enregistrer. Toutefois, nous n'avons pas retenu l'étude sonore de la pierre brisée recollée. Ce qui est remarquable au premier abord, c'est la similarité de leur forme et les traces d'usure sur la tranche concave. C'est sans aucun doute un effritement lié à la percussion. Compte tenu de cela, nous suggérons que ces deux pierres étaient suspendues horizontalement sur la tranche comme sur notre photo. Rien de permet de penser qu'elles purent être suspendues verticalement. Leur finesse semble interdire qu'elles pussent être posées à plat ; en effet, quiconque s'asseyant dessus l'eût brisée.
Ces deux pierres sont le fruit d'une retaille manuelle contrairement à la pierre lithophonique de Chau Srei Vibol présentée ci-après. Elles devaient être considérées comme des objets précieux. Si leur propriété était privative, l'usage devait toutefois en être collectif. Ces deux pierres jumelles (voire peut-être formant un couple ?) ne sont pas sans rappeler les tambours de bronze formant couple ou les kong tha des Lawae du Laos et des Kavet ou Brao du Cambodge. Nous ne pouvons pour l'heure rien affirmer quant à leur utilisation si ce n'est constater la similarité des sonorités dans une zone géographique où existe une grande continuité culturelle. Cependant, parmi les usages probables, on pourrait avancer sans trop spéculer au regard des usages connus par l'ethnographie, qu'elles aient pu être utilisées comme outil de communication distante et/ou avec des entités spirituelles, les populations les possédant étant très certainement animistes. Notons que la musique des gongs aujourd'hui encore pratiquée par les populations forestières des confins frontaliers du Cambodge, du Laos et du Vietnam jouent les gongs, un instrument éclaté, pour rendre hommage à leurs défunts et leurs entités spirituelles. Ces musiques doivent être considérées comme des offrandes au même titre que les offrandes matérielles (riz, bière de riz, viande de buffle…).
Les deux pierres permettaient de jouer deux notes de hauteurs différentes à l'instar des kong tha des Lawae mais il n'est pas exclu que les diverses frappes que nous avons émises lors de notre enregistrement fussent utilisées. Ce qui frappe sur les gong la des Lawae, c'est la richesse rythmique composée avec seulement deux notes ; le procédé de jeu compense la pauvreté mélodique. Nous ignorons beaucoup de choses du passé musical des peuples forestiers sus-mentionnés mais il faut se rappeler qu'ils étaient détenteurs, voici quelques décennies encore, de textes anciens cantillés sur deux notes seulement, un procédé utilisable uniquement par des peuples ne parlant pas une langue tonale, ce qui est le cas des Khmers et des populations autochtones au Cambodge.
Ka1732. Selon l'endroit où l'on percute la pierre, la hauteur de la note fondamentale ainsi que la quantité d'harmoniques varient. L'usage prochain d'un sonagraphe permettra de visualiser la richesse harmonique aux divers points de percussion.
Le temple de Chau Srei Vibol a été bâti à la fin du XIe siècle. Sa douve est de même longueur que celle
d'Angkor Vat. Il n’a pas été restauré. Au sommet de la colline, où fut établi le temple, se trouve aujourd’hui un vihara bouddhiste moderne que l'on aperçoit sur la photo.
Voir l'emplacement ici.
Sur ce site, une curieuse pierre de couleur rosée est
posée en terre sur la tranche au nord de l’escalier Est qui conduit au sanctuaire. À ses côtés, quelques planches de bois délavées et des tôles éparses indiquent qu’un culte récent lui était
rendu.
La pierre mesure un peu plus d’un mètre de long pour une épaisseur maximum d’une vingtaine de centimètres. Quant à sa hauteur, il est encore impossible de le dire puisque sa base est en partie
enterrée. En haut de la pierre, au centre, un trou légèrement biconique démontre qu’elle a été percée en commençant par les deux côtés pour se rejoindre vers le milieu, un peu comme le tunnel
sous la Manche ! Il semble, sur la partie visible de la pierre, que ce soit le seul usinage humain car la douceur des angles arrondis est probablement le fait
d’une érosion hydraulique. La douceur des angles arrondis est probablement le fait d’une érosion hydraulique.
Un éclat relativement, sur un côté, montre une structure interne très dense, homogène, de couleur gris foncé.
Cette pierre est sans aucun doute un lithophone. À notre connaissance, c’est le premier de ce type sur le territoire cambodgien.
Il en existe plusieurs en Thaïlande, au Musée National de Bangkok et dans des musées provinciaux. Cette pierre présente des traces anciennes de percussion, recouvertes par la même pellicule rosée qui caractérise l’ensemble.
Ce lithophone de Chau Srei Vibol était à l’origine suspendu. S’il était en place à l’époque angkorienne, il a été utilisé comme outil de communication sonore, soit entre les personnes humaines, soit pour éveiller les divinités avant que les dévots ne montent l’escalier. De telles pratiques existent encore chez les Hindous, avec les cloches. Au Vietnam et en Chine, des lithophones sont encore en activité dans les pagodes.
Plusieurs lithophones ont été mis en valeur dans les musées archéologiques. Ils ont été suspendus. Certains bénéficient d’un cartel informatif. La plupart sont brisés. Toutefois on ne peut attester si leur état est originel ou dû à leur histoire.