Cymbales & cymbalettes


MAJ : 3 décembre 2021


Cymbales et cymbalettes sont largement représentées dans l'iconographie et sont présentes dans toutes les formations orchestrales : martiales, palatines, religieuses, de divertissement et même pour accompagner le travail. Quelques objets originaux nous sont parvenus. Même si elles appartiennent à la même famille d'instruments, leur forme, leur utilisation et leur mode de jeu sont différents. Les cymbales, larges, ont essentiellement un usage martial. Les cymbalettes, plus petites, officient dans toutes des autres formations orchestrales. Les unes et les autres sont en bronze (alliage de cuivre, d'étain et/ou de plomb).



Le mode de jeu à travers l'iconographie

Dans l’ensemble des représentations, proprement angkoriennes, les deux éléments à entrechoquer ou entrefrotter sont tenus l’un au-dessus de l’autre, la main gauche en dessous. Les deux éléments sont soit reliés par une cordelette, soit libres. D’une manière générale, ils sont représentés séparés de quelques centimètres ou juxtaposés. Sur un linteau préangkorien de Sambor Prei Kuk du VIIe s., le musicien les percute avec véhémence. Sa main droite semble tenir une poignée. Les Néwar de la vallée de Kathmandu, au Népal, utilisent des instrument similaires dans la musique du bhajan destinée à louanger les divinités de l’hindouisme.

 

Cymbalettes déliées à un usage rituel. Sambor Prei Kuk. VIIe s. Danse de Shiva. Musée National du Cambodge.
Cymbalettes déliées à un usage rituel. Sambor Prei Kuk. VIIe s. Danse de Shiva. Musée National du Cambodge.
Cymbalettes avec poignées accompagnant les chants dévotionnels bhajan. Bhaktapur, Népal.
Cymbalettes avec poignées accompagnant les chants dévotionnels bhajan. Bhaktapur, Népal.
Cymbales liées, à usage martial. Angkor Vat, 3e galerie sud, XIIe s.
Cymbales liées, à usage martial. Angkor Vat, 3e galerie sud, XIIe s.

À gauche, un guerrier cham semble jouer des cymbales. Si cela était avéré, il s’agirait de la seule représentation de cet instrument vu sous cet angle. Il pourrait aussi s’agir d’un tambour cylindrique vu de face, mais aucune sangle de portage n’apparaît. Bayon.

Le mode de préhension de ces cymbales pourrait corroborer l’hypothèse avancée au sujet de la tenue de l’instrument par le musicien cham. Néwar, Vallée de Kathmandu, Népal.



Les cymbales à travers l'archéologie

L’archéologie a livré des cymbales en bronze à calotte hémisphérique et conique. Un investigation auprès de spécialistes du bronze permettrait de trancher si les instruments ont été coulés ou forgés.

Les cymbales à poignée solidaire (ci-dessous) proviennent de Banteay Chhmar ; elles mesurent 22 cm de diamètre. Ce type d’instrument est toujours utilisé au Vietnam.


Cymbales en bronze provenant de Banteay Chhmar. Coll. Vat Reach Bo, Siem Reap. Datation inconnue.
Cymbales en bronze provenant de Banteay Chhmar. Coll. Vat Reach Bo, Siem Reap. Datation inconnue.
Cymbales en alliage de cuivre de même type que celles de la photo ci-contre. Vietnam.
Cymbales en alliage de cuivre de même type que celles de la photo ci-contre. Vietnam.


Les cymbalettes à travers l'archéologie

Quelques exemplaires de cymbalettes nous sont parvenus, provenant de fouilles archéologiques  officielles ou découvertes fortuitement. Leur état de conservation, compte tenu de l'épaisseur du métal et peut-être aussi de la qualité des alliages, permettent de les faire sonner et d'entendre le son original. Elles sont percées d'un trou central permettant de les lier et de les tenir pour les jouer.



Les cymbales à travers l'épigraphie

Deux terminologies distinctes apparaissent dans les textes en khmer ancien : tāla ou sa variante tāl, issus du sanskrit tāla ou tala et cheṅ associé au terme fonctionnel chmāp désignant celui qui les « manipule ». Ces deux termes ont été indifféremment traduits par gong ou cymbale(s) par les épigraphistes. Dans le cas de gong, il ne pourrait s’agir, aux périodes préangkorienne et angkorienne, que de petits gongs plats, épais, avec un petit mamelon central, semble-t-il d'origine chinoise. Dans son dictionnaire de Vieux-Khmer, Saveros Pou apporte un rectificatif. Elle propose que tāla soit traduit par « gong » depuis le khmer ancien. Mais nous pensons qu’il n’y a pas lieu de systématiser car aucun gong n’apparaît de manière certaine dans l’iconographie khmère, indienne ou javanaise et l’archéologie ne nous a officiellement livré aucun instrument malgré une bonne conservation de ce métal. Si cymbalettes et cymbales sont officiellement déjà sorties de terre, les gongs se font attendre !
tāla bénéficie d’au moins quatre occurrences jusqu’au XIe s. et une au XIVe s., généralement associées au matériau ; en voici deux :

  • K. 389, préangkorien, kaṅsatāla piy samṛt : trois tāla en bronze ou laiton.
  • K. 370, XIe s., tāla saṃmrit : tāla en bronze ou laiton.

Si l’on rapproche le nombre d’occurrences tāla de la quantité exceptionnelle de représentations de cymbales-ettes, la probabilité que la juste traduction soit cette dernière augmente considérablement. Quant à cheṅ, qui apparaît également avec un nombre significatif d’occurrences, nous sommes tentés de raisonner de la même manière. De plus, le terme chmāp, traduit par Saveros Pou par « manipulateur », démontre bien qu’il y a, dans la manière de jouer, d’autres opérations qu’une simple percussion de gong, cela correspondant à la réalité du jeu des cymbalettes et des cymbales comme en témoigne l’ethnologie.
Un autre argument vient renforcer ce sentiment d’importance des cymbalettes dans la société khmère ancienne. Sur la scène du Bayon ci-dessous, qui jouxte une image de constructeurs de temple, un manipulateur de cymbalettes donne la cadence à cinq hommes munis de bâtons ou de dames avec lesquels ils frappent rythmiquement le sol en vue de l’édification d'un édifice.

Cinq personnages dansent avec des bâtons ou des dames, accompagnés par un joueur de cymbales lors de la construction d’un temple. Bayon. Loggia sud-ouest de la tour axiale ouest de la galerie intérieure..
Cinq personnages dansent avec des bâtons ou des dames, accompagnés par un joueur de cymbales lors de la construction d’un temple. Bayon. Loggia sud-ouest de la tour axiale ouest de la galerie intérieure..

Tout cela serait simple si l’inscription de Prasat Komphus ne venait jouer les trouble-fête. Parmi ses listes de donations au temple, l’une est consacrée aux objets en alliage de cuivre et nous trouvons à la suite l’un de l’autre les mots cheṅ 4, tāla 6. Pourquoi alors deux noms pour des cymbales ou cymbalettes ? On pourrait alors se dire que cheṅ représenteraient des cymbalettes et tāla des gongs. Bien. Mais deux occurrences plus loin, on trouve koṅ panṛum 6 que G. Cœdès traduit par 6 gongs enveloppés ! L’ethnologie nous montre que les minorités ethniques des confins frontaliers du Cambodge, du Laos et du Vietnam protègent et transportent leurs gongs dans des contenants tressés à la dimension du plus grand d’entre eux. Nous proposons toutefois une autre hypothèse : il pourrait effectivement y avoir deux types de cymbales comme il en existe aujourd’hui encore par exemple chez les chanteurs-musiciens de bhajan de la vallée de Kathmandu au Népal : d’un côté de véritables cymbalettes cheṅ, au métal épais, de l’autre de petites cymbales tāla de faible épaisseur. koṅ panṛum pourrait quant à lui alors désigner un tambour enveloppé. Au Laos, le terme générique kong désigne les tambours et il est de coutume de les envelopper dans des étoffes, là comme dans bien d’autres parties d’Asie du Sud-Est et en Inde. Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse…

Épaisses cymbalettes et fines cymbales accompagnent simultanément les chants du bhajan. Bhaktapur, Népal.
Épaisses cymbalettes et fines cymbales accompagnent simultanément les chants du bhajan. Bhaktapur, Népal.
Épaisses cymbalettes et fines cymbales accompagnent simultanément les chants du bhajan. Bhaktapur, Népal.
Épaisses cymbalettes et fines cymbales accompagnent simultanément les chants du bhajan. Bhaktapur, Népal.


Reconstitution de cymbales angkoriennes

En 2012, nous avons trouvé, dans la banlieue de Phnom Penh, proche du secteur de l'aéroport, l'un des derniers artisans fabricant de manière artisanale, des gongs bulbés pour les roneat. Il a accepté de réaliser, pour Sounds of Angkor, des cymbales par martèlement à partir d'une galette de bronze d'épaisseur similaire à celle des instruments angkoriennes. Les images ci-contre rendent compte de l'ouvrage. Les galettes circulaires sont fabriquées à place à partir de métal de récupération.